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21 octobre 2013

En direct du Festival Maintenant (Rennes)

par rédaction Tsugi

De nos discussions avec les différents acteurs de l’association Electroni[K], en particulier son éminence grise Gaëtan Naël (interview ici), un constat sur l’état des arts « transversaux » s’est présenté rapidement à nos yeux : bon sang, pourquoi les Français sont capables de faire l’effort de manger des escargots de Bourgogne, mais que pour programmer ou aller voir ou faire parler des projets qui mélangent les disciplines, qui proposent des alliances d’artistes inédits, ou pour sortir du cloisonnement classique « l’art plastique c’est une chose, la musique en est une autre », c’est tout de suite plus galère ?

Le Festival Maintenant, nouvelle appellation de Cultures Electroni[K], a changé de nom pour plusieurs raisons assez pragmatiques (l’identification française, Google Panda et autres trucs du genre), mais aussi pour prouver que cet événement n’est pas qu’un délire d’intellos le jour et de clubbers éclairés la nuit. Et cette première édition, qui reprend les bases théoriques de son ancienne version, entendait bien faire passer le message. Et il semble que le courant soit passé à Rennes.

 

Exemple n°1 : techno, cordes, robes de soirée

Jeff Mills complet ? Lorsqu’on y réfléchit, cela n’a pas grand chose d’étonnant. C’est en prenant conscience, en direct, de la nature propre de la « proposition » et de la taille de la salle que nous saisissons que cela n’avait rien d’évident : la grande salle du Théâtre National de Bretagne, immense, accueillera le producteur accompagné de l’orchestre résident du lieu, ce qui donne 1000 personnes dans une salle gigantesque pour écouter une pièce en cinq mouvements de techno orchestrale censée mettre en musique les angoisses de vide sidéral d’un astronaute japonais. Une prestation saluée d’une standing ovation, tant des fans de Mills que des abonnés du lieu, plutôt habitués à des choses un peu moins particulières artistiquement. Avant cela, Nico Muhly a proposé une prestation plus originale encore, en samplant son jeu de violon aussi virtuose que déviant, toujours avec l’orchestre du TNB. Highlight du festival ? Peut-être, au niveau du standing. À mettre en perspective, cependant.


Le type à la console a droite, c’est Jeff Mills. #FestivalMaintenant #Rennes by @tsugimag

 

Exemple n°2 : sueur, jeunesse perdue, south London

Les deux soirées électro du week-end, sises à l’Ubu et à l’Antipode, ont toujours été observées avec attention par la presse spécialisée (rappelons que Electroni[K] a fait jouer Justice en 2006 « avant tout le monde »). Sauf que ce festival n’a jamais vraiment fonctionné à coups de têtes d’affiche. C’est étrange, en fait : en rentrant à l’Ubu pendant la prestation de Pale, on pourrait croire que Brodinski va débarquer d’un instant à l’autre, vu le public, certes hétéroclite, mais à forte dominante « Deug d’espagnol en goguette » tout de même. Sauf que musicalement, passé l’instant modern house anglaise du DJ pré-cité, le live de Blondes sera radicalement perché, et sans aucune couenne pop. Un moment fort pour tout le monde, de la cultureue amatrice de clubbing à l’écoute analytique jusqu’au bon fêtard qui ne sait pas vraiment pour qui il a payé son billet. Au final, il aura mangé des pépites d’or par les oreilles et c’est tant mieux. Si FunkinEven aura probablement achevé les plus résistants avec un set acide, minimal et physiquement harassant, des aventures sonores ont cassé les genoux des plus téméraires le samedi, pour leur plus grand plaisir. Actress ne mixe pas tout le temps, change de tempo, fait cracher les caisses claires et distille un brouillard électromagnétique qui glace le sang. On ne verra pas son visage, mais ceux qui auront compris le message, désormais, savent. Delta Funktionen a visiblement l’air un peu plus « friendly » dans son approche, mais ça reste pointu, radical, à ne pas mettre dans les mains d’enfants de moins de 36 mois. Ces soirées, c’est un peu comme faire courir un semi-marathon à un échantillon de population choisi au hasard : les sportifs prendront leur pied, les néophytes ont le choix : soit ils se découvrent une passion dans l’effort, soit ils lâchent l’affaire. Mais personne ne ressort en disant « mouais ».

 

Exemple n°3 : bips, vieilles pierres et décalages de phases

La semaine dernière, Tristan Perich, compositeur new-yorkais amateur d’enchevêtrement de sons à texture « 1 bit » et auteur de bon nombre d’œuvres sonores révolutionnaires, a vu paraître un article sur sa personne dans le New York Times. Depuis, son téléphone sonne régulièrement et l’Europe, où il se produit en ce moment, semble se passionner pour son travail. Avant ? Rideau, ou presque. Notons, juste comme ça, que Perich expose en ce moment au Musée d’Art Moderne (MoMA).

Au Théâtre du Vieux Saint-Étienne, il y avait largement assez de public pour que la 1-bit symphony fasse son oeuvre, accompagnée d’un visuel percutant et simpliste, le tout formant un monolithe artistique appelant à l’épilepsie. Des curieux, des amateurs d’art nouveau, mais on peut parier que peu de gens sont venus en connaissance de cause. La faute à un manque de relais médiatiques ? On pose la question, et on se jette aussi la pierre. Dans un monde où la concentration culturelle est poussée à son paroxysme, il est toujours dur pour les artistes « en marge » de faire causer d’eux, tout autant que de sortir des évidences éditoriales pour des publications parfois exsangues. Même exemple pour la prestation de Nicolas Bernier, qui a, à vue de nez, rassemblé autant de locaux que d’étrangers venus voir le Québécois récompensé par le prix Ars Electronica 2013. Si l’Hexagone a besoin qu’on le secoue un peu (les deux artistes pré-cités ont tout le mal du monde à trouver un lieu d’expression à Paris…), il reste une oasis, que nous avons trouvée ce week-end.

 

Exemple n°4 : usine à gaz transversale

On vous a déjà parlé de Gangpol & Mit. Si si, ils ont fait un portfolio dans un numéro de Tsugi, on a vu leur projet The 1000 People Band à peu près 357 fois et on a fondu, bref, ces deux zigotos savent faire de la musique, du graphisme, du numérique, sans jamais sombrer dans une exclusive avec l’un de ses amours. La Boîte, exposition posée au 4Bis dans le cadre du festival et ouverte jusqu’au 23 octobre, résume bien le travail du duo et l’esprit du festival : comprendre, questionner et mettre en forme les nouvelles perspectives artistiques et culturelles qu’offre l’interconnexion entre les disciplines.


La boîte, by Gangpol & Mit. #Maintenant #Rennes by @tsugimag

En fait, cette expo, ça semble destiné aux gosses, mais on a vu autant d’adultes griffonner des dessins pour les passer devant des webcams afin de créer des sons (et autres joyeusetés du genre) pour comprendre que les concepts offerts par le duo ne sont évidents pour personne au départ, et c’est ce qui les rend passionnants. Passez une heure là dedans, et vous comprendrez que tout ceci n’est pas vain. Tout ça, c’était déjà hier, mais nous, on a hâte d’être de nouveau Maintenant. Même si, bon, vous avez saisi le message : Maintenant, c’est surtout quand vous voulez.

Meilleur moment : Entendre un duo de grand-mères abonnées au Théâtre National dire, à la sortie de Jeff Mills : « tout de même, c’était très particulier ».

Pire moment : « Relou le DJ là, il parle même pas à son public ». Non, en effet, si vous êtes venu voir Actress gueuler « est-ce que vous êtes chauds », c’était pas le bon calcul…

Bonus : l’Orchestre des Hauts-Parleurs et Benjamin le Baron, autre proposition du festival, autre exemple d’éducation « open ears » absolue.


Maintenant jour 4 Théâtre de la Parcheminerie par Electroni-k_Festival

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