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21 juin 2018

Fête de la musique à l’Elysée : le line-up de la discorde

par Maxime Jacob

« Je vais ramener ma communauté noire et homo au cœur du système » : Kiddy Smile donne le ton pour sa performance de ce soir à l’Elysée. Largement commenté sur les réseaux, l’hommage de la Nation à la culture électro concocté par Busy P devrait frayer son chemin entre dancefloor et contestation. Enquête.

« Si on commence à se fâcher à propos de la fête de la musique, c’est grave ! ». Pedro Winter n’a pas envie de s’énerver. Il a eu une longue journée : « Ça fait deux jours que mon téléphone n’arrête pas de sonner », résume-t-il pendant que son chat fait ses griffes sur son bras. Depuis que l’État lui a confié la programmation de la fête de la musique 2018 dans le palais de l’Élysée, le patron du label Ed Banger s’est transformé en quasi haut-fonctionnaire : « Les gens me demandent des accréditations, comme si je travaillais pour Macron ». Il se marre. Il faut dire que l’événement intrigue : ce jeudi 21 juin 2018, les jardins de l’Elysée accueilleront un « line-up » – terme repris officiellement sur Twitter par Sibeth Ndiaye, chargée des relations presse de la Présidence – orienté électro : Busy P et Kavinsky seront rejoint par le (plus si) jeune Cezaire du label Roche musique. Surtout, le couple présidentiel assistera aux DJ sets de Chloé et de Kiddy Smile, ce dernier étant engagé dans les luttes LGBTI et dans le mouvement queer.

A l’électro la patrie reconnaissante

L’annonce de l’événement s’est faite samedi. Les deux milles places gratuites ont été réservées en quelques heures. Et presque aussi rapidement, la petite réception a fait l’objet d’un débat. Le climat social tendu et les choix politiques du gouvernement ne donnent pas envie de danser à tout le monde au sein de la grande famille de l’électro français. « C’est un gros symbole l’Elysée », concède l’ancien manager des Daft. « Ça va faire 25 ans que je défends la musique électronique, alors la faire entrer dans l’enceinte du palais présidentiel, c’est une forme de consécration ».
Il est déjà arrivé que des artistes pop s’invitent dans les jardins du Président. Pour Véronique Sanson, c’était sous Jacques Chirac en 2000. En homme de goût, François Mitterand y avait invité Julien Clerc en 1994. A cette époque, la musique électro était cantonnée aux raves, aux squats et aux clubs gays des grandes villes. « Aujourd’hui encore, c’est une musique qui effraie. Le grand public comprend mal ce que nous faisons », affirme Busy P qui espère toucher un public large lors de l’événement.

Convergence des luttes

De l’eau a coulé sous les ponts depuis les années 1990, mais la musique électronique représente toujours une bonne part de l’underground français. C’est sans doute cette dimension de contre-culture originelle qui motive les critiques à propos de l’événement. En off, beaucoup de DJs regrettent que Busy P et son line up aient accepté de jouer dans la maison de Jupiter. Les réformes du statut des cheminots, les déclarations du Président sur le « pognon de dingue » dépensé dans les aides sociales et surtout la politique migratoire, autant de points qui ne passent pas dans certains milieux alternatifs. De son côté, Fany Corral, responsable du festival LGBTI Loud & Proud, craint le coup politique : « que l’Elysée invite Chloé et Kiddy Smile à jouer, c’est très bien. Mais pour moi, ça reste de la communication. Ce que j’attends de mon Président, c’est qu’il garantisse l’égalité des droits. Depuis qu’il a été élu il a surtout tendu la main à la manif pour tous en disant que certaines personnes avaient été humiliées par la loi Taubira. Il a aussi tendu la main aux Évêques de France en disant que les relations Église état avaient été abîmées et qu’il fallait les restaurer. À aucun moment il n’a tendu la main aux LGBTI ». Pour Christophe Vix-Gras, patron du Rosa Bonheur et membre du Collectif Action Nuit, la polémique n’a pas lieu d’être : « Il ne faut pas confondre tous les combats », prévient-il. « L’Elysée, c’est surtout le symbole de la République et cet événement est avant tout fait pour rassembler les Français ». Pas question pour lui de boycotter l’événement : « ces DJs ont été conviés à jouer par un Président de la République élu, c’est forcément un honneur ».

Contactée, l’Élysée nie toute récupération politique de l’événement : « l’électro est un style qui fait rayonner la France dans le Monde. Nous souhaitons que cet événement soit culturel et festif ». Il n’est pas certain que les communicants du Président soient tout à fait au courant de ce que leur concocte Kiddy Smile. L’artiste House, figure de proue du Voguing et ouvertement queer compte bien profiter de l’occasion pour faire passer un message à Emmanuel Macron. « La politique migratoire menée par ce gouvernent me répugne. Si cette loi ‘’Asile et immigration’’ avait été adoptée avant ma naissance, moi, enfant d’immigré noir et homo, je n’existerais pas. » Alors, plutôt que de boycotter l’événement, le Parisien compte s’en servir comme tribune : « Je compte ramener avec moi mes danseurs LGBTI de couleur, je vais faire danser ma communauté au cœur même du système ». L’artiste proposera un DJ set : « Ce format me permettra de délivrer mon message. J’aurais refusé de faire un live ». Et pas question que le Président récupère à son compte la performance : « J’ai accepté parce que je considère qu’il faut se parler. J’ai une carte à jouer et ma performance n’a rien à voir avec La république en Marche ».

Le cachet de chaque artiste s’élève à 1500 euros. « On voulait jouer gratuitement mais l’Élysée a tenu à ce que l’on soit payés », révèle Pédro Winter. L’argent sera reversé au Secours Populaire, à l’exception du cachet de Kiddy Smile : « J’ai décidé de reverser mon cachet à une association qui vient en aide aux migrants. C’est le minimum que je puisse faire ». A quelques heures de l’événement, Busy P sourit : « Ça me plait de faire dialoguer toutes ces cultures. On va quand même faire venir des danseurs de voguing chez le Président quoi ! ». Ouverture des portes à 20h.

Maxime Jacob

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