Né au cœur de la scène gabber néerlandaise des années 1990, le hakken continue de séduire les amateurs de hardcore, parfois bien loin de ses racines culturelles. De danse prolétaire à phénomène TikTok, on vous raconte comment le hakken a infusé les raves européennes.

Hakken, en hollandais, ça veut dire « talons ». Une indication directe sur la mécanique de cette danse rapide et répétitive, rythmée par le kick de la musique hardcore. « Il y a une impulsion qui part du sol, sous le pied, à chaque kick. Dans le hakken old school, on avance le pied à chaque basse. Ensuite, on peut ajouter des blocages, des croisements de jambes, des kicks — des jets de jambes en l’air — et aussi du travail avec le haut du corps », explique Edgar Scassa.

Danseur de hakken et de jumpstyle, il découvre ces pratiques à la fin des années 2000. Autodidacte, il se forme seul à travers des tutoriels et des vidéos YouTube, à une époque où le hakken demeure largement absent des scènes institutionnelles. De passionné amateur, il accède au statut de danseur professionnel après avoir été repéré par le collectif (La)Horde, avec lequel il collabore depuis plus de dix ans.



Le hakken apparait aux Pays-Bas au début des années 1990, dans le sillage de la scène gabber, un courant de musique électronique hardcore, caractérisé par sa vitesse — autour de 200 bpm — et son intensité. Bien que peu documentée, la danse serait inspirée des mouvements pratiqués par les supporters du club de football de Rotterdam dans les tribunes du stade.

À l’époque, la culture gabber rassemble une jeunesse populaire, souvent refoulée à l’entrée des clubs. Survêtements, Air Max, hoodies usés : ces jeunes, eux-même qualifiés de « gabber » — un terme argotique signifiant « pote » à Amsterdam — se retrouvent dans des lieux alternatifs comme le Parkzicht à Rotterdam, puis dans les soirées Multigroove à Amsterdam. Là, une musique de plus en plus rapide, brute, s’impose comme un pied de nez à la société bourgeoise et au bon goût de la techno — considérée comme beaucoup plus chic.

Danser pour tout oublier

Si le hakken est aujourd’hui parfois pratiqué hors de son contexte d’origine, ses adeptes évoquent avant tout la sensation de lâcher-prise qu’il procure. La répétition des mouvements, synchronisée au kick, plonge les danseurs dans un état proche de la transe, semblable à l’état modifié de conscience décrit par la chercheuse espagnole Raquel Aparicio Terrés dans son étude sur les effets de la musique électronique sur le cerveau.

Joy est danseuse professionnelle de hakken. Elle se produit sur scène aux côtés du DJ allemand Marc Accadipane, considéré comme l’un des « papas du hardcore », sur la quasi-totalité de ses dates. Sa découverte du hakken remonte à plus de quinze ans, lorsqu’elle commence à fréquenter les festivals gabber aux Pays-Bas. À l’époque, elle ne s’y sent pas vraiment acceptée et décrit même le milieu comme « un peu raciste ». Apprendre cette danse devient alors pour elle un double moyen : s’intégrer, mais aussi ressentir la musique plus intensément. « Quand un drop arrive ou qu’une ligne de basse change, quelque chose de très fort se produit en moi, un effet de surprise », explique-t-elle. Elle se souvient notamment de sa première soirée seule à Utrecht : « J’avais la chair de poule, des frissons en continu ».

Joy © Quentin Merveillie
Joy © Quentin Merveillie

Elle n’est pas la seule à décrire ces sensations : « Quand je danse, la mélodie catchy me prend aux tripes, et le kick me donne envie de danser plus fort. Je relâche toute la pression, j’arrête de réfléchir », constate Edgar Scassa.

De la marge au phénomène internet

Les codes du hakken, et la population qui le danse ont longtemps nourri les amalgames. Il faut dire que, parmi les premiers adeptes du mouvement, on trouvait des hooligans de l’Ajax — un club de football d’Amsterdam — et autres jeunes populistes flirtant avec les extrêmes.

Adrien Charvet, alias Gabbadri, est danseur de hakken et acteur de la scène hardcore française. Il a découvert cette culture très jeune, à travers la musique, puis en free party, où il a fait ses premières armes de danseur. Aujourd’hui, lui aussi s’est professionnalisé et danse notamment aux côtés du DJ Von Bikräv, considéré comme l’un des pionniers du frapcore — un genre à la croisée du gabber, du hardcore et du rap. Il a parfois dû composer avec les amalgames : « On s’est déjà fait prendre la tête en teuf parce que des gens associaient le gabber à une danse fasciste ou raciste. Ça n’a aucun sens ».

Avec le temps, le hakken, tout comme le gabber, s’est démocratisé, au point de devenir une trend sur des réseaux sociaux comme TikTok, où les tutoriels pour avoir le meilleur lâcher de jambes se comptent par centaines. Pour Joy, ce n’est pas une surprise : « Tous les mouvements underground finissent par être absorbés par la culture mainstream. Ça s’est vu avec le hip-hop, le R&B, la soul, le rock… ». «

« C’est complètement devenu un phénomène d’internet, observe Adrien Charvet, au début j’avais un regard très critique, ça m’énervait. Mais en vrai, il faut être un vieux con pour rester bloqué là-dessus. » Pour lui, cette visibilité est peut-être finalement une chance : « Si personne ne s’appropriait le mouvement, il serait bloqué dans les années 1990, il n’y aurait pas eu de renouvellement ». De quoi faire danser encore quelques générations sur les kicks du hardcore.

@fitbymedusa la vaisselle attendra #hakken♬ Maximale Aura - Jerome Molnar