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4 avril 2020

Panteros666 : « J’ai l’impression d’être plus proche du chanteur d’Aqua que de Rødhåd »

par Brice Bossavie

Trois ans qu’il n’avait pas sorti de nouveau morceau en solo. Après une pause méritée, un paquet de DJ sets, un label lancé, un déménagement à Londres et un pied posé dans le monde du cinéma, Panteros666 revient en solo avec “Catch Me IRL”, premier extrait d’un EP à venir sur le géant américain Ultra Music, où il vient tout juste de signer aux côtés de mastodontes EDM comme Calvin Harris, Deadmau5, Steve Aoki ou Netsky. L’occasion pour l’entité de Club Cheval de se poser une heure à Paris pour discuter de son retour musical, d’amour à l’ère du numérique, et de AER_OS, son nouvel avatar numérique inspiré par Pokemon Go. Oui, Panteros666 n’a pas tellement changé. Non, sa musique n’est plus vraiment la même.

Depuis 2017, tu as sorti très peu de musique pour faire beaucoup de DJ sets et d’autres projets à côté. Pourquoi avoir ralenti au niveau de la musique ?

Entre le moment où j’ai mis mes premiers morceaux sur internet et aujourd’hui il a dû se passer huit-neuf ans, comme si j’étais rentré dans un tunnel duquel je venais de sortir en 2017. Je me suis dit que j’étais arrivé au bout d’un cycle. Ça m’a fait cet effet-là notamment à la fin de Bromance et des deux années de tournée avec Club Cheval où je me suis dit qu’il fallait que je prenne une pause, que j’arrivais à la fin d’un chapitre. Après l’album de Club Cheval, on a senti qu’on avait besoin de faire des choses musicales différentes et c’est ce qu’on a fait : on s’est donné quartier libre. J’avais envie de collaborer avec plein de nouveaux producteurs que j’avais rencontré à Paris et j’ai essayé de créer mon propre label, mais je crois que ce n’était pas trop fait pour moi. Je suis trop le nez dans la création, dans mes morceaux, mes projets, pour arriver à bien gérer la paperasse et la gestion et ça ne m’a pas vraiment plu. Entre-temps, j’ai aussi été approché par un producteur de cinéma qui m’a contacté pour écrire des scénarios de films. Du coup, j’ai profité de cette pause pour me former en autodidacte aux métiers d’écriture de scénario, de dialogue, de réalisation… J’ai lu une vingtaine de bouquins académiques, universitaires, de grands réalisateurs sur l’écriture fictionnelle et j’ai tourné mon premier court-métrage cet été, qui parle de masculinité et de romantisme. Donc ça aussi ça m’a pris huit mois de ma vie. Et évidemment j’ai bossé sur la musique, en tournant beaucoup, et en m’enfermant dans mon studio pour faire plein de morceaux dans le but de faire évoluer ma musique. Je suis passé d’un son qui était très club à une musique plus pop aujourd’hui. Donc même si je n’ai pas sorti grand-chose, il s’est finalement passé pas mal de choses pour moi entre 2017 et aujourd’hui.

Tu parlais d’aller vers la pop. C’est un peu ce que tu avais entamé avec ta collaboration avec Woodkid non ?

C’est vrai. Le truc c’est que je ne trouvais pas vraiment d’écho pour ce genre de morceau un peu vocal-house dans des labels en France. Alors je me suis intéressé à l’Angleterre et plus précisément à ce qu’il se passait à Londres et j’ai eu l’impression de découvrir la Terre Promise pour les mélanges qui cassent les frontières entre ce qui est pop et ce qui est club. J’ai déménagé là-bas. Ma consommation de musique a aussi changé : maintenant je suis entre Soulseek et Spotify, et je me suis un peu détaché de la musique de club, pour écouter des choses plus pop, plus incarnées. Ce n’est pas forcément de la musique faite pour foutre le feu en soirée.

Tu as écouté quoi par exemple ?

J’ai beaucoup écouté Gorgon City, Jack Jones, Sonny Fodera, Chris Lake, toute cette scène… et j’ai mélangé ça avec des styles de niches obscurs que j’ai toujours aimé comme l’eurodance des années 2000. Déjà en termes d’esthétique et de fashion, ils avaient un super look, contrairement aux DJs sombres, ultra sobres d’aujourd’hui, et dans lesquels je ne me reconnais pas vraiment. C’est pour ça que j’aime bien mettre des éléments un peu dance/eurodance dans mes sons. Ça me donne l’impression d’être plus proche du chanteur d’Aqua que de Rødhåd (rires).

Tu t’es plus ouvert à la pop ces trois dernières années ?

Oui, clairement. Avant, mettre des voix dans des morceaux électroniques c’était un peu tabou pour les Français. Et on a brisé un peu ça avec Club Cheval en faisant notre album. Mais on était plus dans des trucs r’n’b, rap, ou alors c’était des petits cuts. Surtout, il y a eu un vrai virage dans la musique actuelle ces dernières années avec énormément de pop stars qui chantent vraiment : même dans le rap tu le vois, de Lomepal à Post Malone, on a des chanteurs à voix maintenant. On est dans un monde de chansonniers et j’aime bien suivre les évolutions du monde, en musique ou ailleurs. C’est important pour moi d’apporter ma propre vision des choses mais je n’ai pas non plus envie de ramer contre ce qu’il se passe autour de moi. Je trouve ça bien quand il y a une vague et que tout le monde se laisser porter par elle pour ensuite faire ce qu’il veut avec. Après, chacun son style de surf (sourire).

« Je me suis totalement décomplexé sur le fait de savoir si c’est trop mélodique, trop EDM, trop bass-house… »

Quand on réécoute tes EPs solo, il y a toujours eu des voix au final.

C’est quelque chose que j’adore. Un track sans vocal c’est un peu comme un squelette. Et lorsque tu mets une voix tu as direct de la peau et des fringues par-dessus. J’aime bien travailler avec cette matière. Donc pour mes nouveaux morceaux, j’ai bossé avec des chanteurs. En réalité, j’ai eu un vrai déclic avec « One Kiss » de Calvin Harris et Dua Lipa : c’était de la Chicago house du futur, hyper bien produite, tout en étant sobre. Je voulais faire la même chose avec des chanteurs/euses plus indés, moins formatés/mainstream, pour avoir ma propre esthétique. J’ai donc commencé à faire une centaine de morceaux, et je suis allé chercher des potes pour chanter par-dessus : ça va de Claude Violante, avec qui j’ai fait le premier son, à Floyd Shakim, Camp Claude ou Ana Zimmer. J’ai écrit moi-même des mélodies de chant et j’ai vraiment adoré faire ça. Et je me suis totalement décomplexé sur le fait de savoir si c’est trop mélodique, trop EDM, trop bass-house…

Tu te posais ces questions avant ?

Ce n’est pas moi qui me les posais mais plutôt le regard des autres. Comment tu veux t’insérer et adopter les codes d’une scène… Alors que l’intérêt de faire des projets pop, c’est que sa richesse mélodique fait que tu peux sortir de toutes ces scènes de DJs un peu rigides. C’est quelque chose qui te donne une certaine liberté, et tu n’es plus étiqueté dans un genre musical précis. J’ai toujours tout sacrifié pour ma musique donc je ne vais pas essayer de copier des scènes, vu que j’ai envie de créer quelque chose d’original. J’ai donc fait mes cinq premiers morceaux comme je voulais sur mon EP à venir. Et j’ai maintenant envie de faire pareil en Angleterre et aux États-Unis. Mais il fallait d’abord que je trouve ma propre cuisine à Paris.

Tu as parallèlement continué à faire beaucoup de DJ sets. C’était quelque chose d’important pour toi ?

J’aime toujours trop sortir en club (rires). J’aime aller danser, aller voir des DJ sets de potes… La culture club, l’ambiance, les rencontres que tu fais dans les clubs, ça reste un monde à part. À chaque fois que je rentre d’une nuit en club, je retourne dans mon studio et j’ai trop d’idées. En vrai, c’est comme mélanger les théories et la pratique. Tout ce que tu écoutes, ce que tu fais derrière ton ordinateur, c’est de la théorie. La pratique, c’est de jouer ces morceaux en club et de voir ce qu’il se passe. Et suivre aussi ce qu’il se passe en soirée. Le futur, il passe énormément par les musiques, les cultures underground, et le clubbing, parce que c’est là que toutes les innovations humaines et de pensées se déroulent. La manière dont tu t’habilles, les standards de beauté, l’identité sexuelle, c’est en club que j’ai vu tout ça arriver et évoluer. C’est pas dans le métro à 8h du mat’ ni à l’Assemblée Nationale.

Tu as récemment déménagé à Londres. C’était pour des raisons musicales, c’est ça ?

Complètement. C’est vraiment un endroit où je sens qu’il y a une compréhension de ce que je veux faire. Quand je faisais écouter mes nouveaux morceaux en France, on me disait que c’était trop dance, trop pop. Alors qu’en Angleterre les gens étaient super enthousiastes, ils étaient super ouverts. C’est aussi un peu pour cette raison que je viens de signer avec Ultra Music. Parce qu’ils comprennent vraiment ce qu’est la culture club au sens large.

« Le futur, il passe énormément par les musiques, les cultures underground, et le clubbing, parce que c’est là que toutes les innovations humaines et de pensées se déroulent. La manière dont tu t’habilles, les standards de beauté, l’identité sexuelle, c’est en club que j’ai vu tout ça arriver et évoluer. C’est pas dans le métro à 8h du mat’ ni à l’Assemblée Nationale. »

Comment la signature avec Ultra s’est faite d’ailleurs ?

J’ai rencontré Ultra France, des gens d’Angleterre sont ensuite venus écouter mes démos, et ça leur a plu. C’était un défi pour moi de pouvoir sonner aussi bien que les Anglais et les Américains. Je voulais que ça tape aussi fort, tout en ayant quelque chose qui reste Français. En voyageant, je me suis rendu compte que la définition de la musique électronique à la Française, c’est quand tu fais de la musique électronique avec une forme d’émotion mélancolique et des voix pop. Il y a ce truc-là. Que ce soit Chicago, ou disco, de Bangalter à Breakbot, ça revient souvent. Je ne voulais pas spécialement ça dans ma musique mais tu baignes dedans en écoutant des artistes de ton pays et c’est ce que tu crées. Au final, j’ai l’impression d’avoir un peu ce mélange moi aussi.

Le fait d’être chez une machine comme Ultra, c’est aussi une façon d’avoir plus de moyens financiers pour réaliser des clips, faire de la réalité augmentée… ? 

Oui, c’est le but ! Le dernier clip, je l’ai tourné avec un iPhone 4K pour pouvoir utiliser les filtres d’Instagram. Au lieu de tourner sur des fonds verts et faire des incrustations 3D par la suite, je me suis dit qu’il valait mieux tout avoir direct. Et je pense que dans 15 ans, les Marvel seront tournés comme ça, avec la 3D en direct (sourire). Et puis c’était un moyen d’innover un peu avec des outils de réalité augmentée que j’aime beaucoup. Je trouve que le mot « réalité augmentée » définit bien l’époque dans laquelle on vit. Ta vie physique est vachement définie par ta vie en ligne : qui tu rencontres, tes dates, comment tu parles de manière amoureuse en DM puis IRL. C’est ça le thème du single. Comment on se court après en ligne et aussi dans la vraie vie. On est dans une période où on mélange un retour à la nature, où tout le monde mange bien, avec un désir de tout pousser. Tes photos, tes rencontres, tes potes…

Et en même temps on parle aussi de digital detox. 

Complètement. J’ai l’impression d’être passé d’enfant d’Internet à “penseur” d’Internet, je suis un peu plus méfiant. Parce qu’il y a des pièges qui ont été posés partout sur le Net, et on a tous foncé dedans. C’est pour ça que j’ai fait un clip à l’esthétique cyberpunk, en mode ville futuriste, avec une esthétique assez années 2000. Les années 2000, c’était une période où on pensait que le futur de l’humanité allait être la symbiose entre l’homme et la nature. Et en fait on a eu le 11 septembre, les crises écologiques, et tout ne s’est pas du tout passé comme prévu… On a peur du futur, il y a de l’éco-anxiété, et j’avais envie d’explorer la dernière ère d’optimisme de l’être humain vis-à-vis de la technologie du début des années 2000 : ça s’appelait le Y2K, et j’ai essayé de remettre au goût du jour cette esthétique. J’ai donc créé un AER_OS, qui est ma petite créature 3D qui sera partout.

Tu peux nous en dire plus ?

Je voulais créer un avatar digital qui me suit partout en tournée, qui dansera avec moi sur des panneaux holographiques, que j’ai aussi en filtre sur Instagram, et qui va être un peu ma mascotte. Ça s’appellera AER_OS : “Aer” parce qu’il plane, et aussi parce que ça fait Augmented Reality Operating System. Et ça finit en « os », comme Panteros (rires). Je veux en décliner pas mal, on en a créé plusieurs avec Ines Alpha sur toute la partie implémentation digitale, en collaboration avec une artiste croate qui s’appelle Flufflord. Le fait d’avoir cette mascotte va me permettre de pouvoir l’utiliser comme une extension de moi-même totalement digitale. Et ça rejoint un peu tous les thèmes que j’ai envie d’aborder dans ma musique : “Catch Me IRL” parle par exemple d’interactions digitales, de romances sur Internet, de souffrance dans la vraie vie liées à la pression des réseaux sociaux. Je trouvais ça bien d’en parler tout en restant un grand fan des outils digitaux. La preuve, je me suis créé un avatar digital !

Ce n’était pas compliqué de faire écrire les chanteurs/euses sur ces thèmes ?

Je les guidais un peu sur les thématiques sinon on allait potentiellement parler d’histoires d’amour méga vagues, où moi je ne me reconnais pas vraiment. Je ne drague pas sur des dancefloors (sourire). Mais l’écriture n’a pas été vraiment compliquée. Parce que les relations amoureuses, les problèmes romantiques, ça reste les mêmes depuis que l’être humain est sur deux pattes. C’est juste le médium qui change. Ce n’est pas parce que tu as des smartphones, ou une plume et de l’encre, que les sentiments vont changer.

On parlait de la technologie, du futur : toi qui aime beaucoup ça, est-ce que tu t’en méfies ?

Avant je ne m’en méfiais pas. Maintenant, beaucoup plus. Quand tu vois qu’un morceau sur Spotify est plus nocif pour l’environnement qu’un CD parce qu’il se trouve dans des serveurs au fond de l’eau, tu t’interroges. C’est pour ça que je suis parti dans une esthétique cyberpunk dans mon dernier clip et que je regarde à nouveau Matrix (rires). En ce moment on est à fond sur la technologie, on veut pousser le progrès au max, et tout le monde attend de cette technologie qu’elle résolve les problèmes d’inégalités, d’écologie, que l’existence soit sauvée grâce à ça. On avance les yeux bandés et ça ressemble à un saut vers l’inconnu collectif. Tout est devenu une version cheap de ce qu’on imaginait du futur : il n’y a pas d’immeubles avec des plafonds volants et des animaux tropicaux. Les animaux crèvent et on a un nouvel iPhone tous les six mois. Mais je n’ai pas envie de faire croire que je suis en dehors de la société, je joue aussi le jeu de tout ça. Et j’en suis l’acteur comme la victime. Comme tout le monde.

Pourtant tu disais être influencé par le Y2K qui était optimiste. 

Oui mais j’ai dû remonter vingt ans en arrière pour le trouver. C’était avant que les courbes de croissance et écologiques commencent à baisser. On pensait que le digital était le nouveau truc qui allait abolir les inégalités, le racisme, mais en fait on est tous en gueule de bois de ça. Au moins tu avais des penseurs de l’avenir, avec une vision optimiste et fun de tout ça. Et j’ai envie de remettre en avant cet optimisme, mais de manière plus créative et pas uniquement pour répondre à des besoins ou à une compétition sur le nombre de likes, le nombre d’étoiles ou d’amis que tu as, qui fait bader tout le monde une fois que les lumières sont éteintes et que tu es à poil dans ta douche. Je le ressens comme ça et j’en fais partie aussi. Tu utilises un filtre dans tes stories Instagram pour être beau gosse, et peut-être que tu vas plus plaire. Mais à quel prix ? « I’ve won, but at what cost? » (rires)

« Tout est devenu une version cheap de ce qu’on imaginait du futur : il n’y a pas d’immeubles avec des plafonds volants et des animaux tropicaux. Les animaux crèvent et on a un nouvel iPhone tous les six mois. »

Ça va faire dix ans que vous êtes sur la scène électronique avec Club Cheval. Pourtant on a toujours l’impression que vous êtes très proches entre vous. Comment est-ce que tu l’expliques ?

Comme un groupe de potes, c’est un peu Le Cœur des Hommes (rires). On a vécu tellement de choses positives et dures ensemble que ça nous a soudé. Tu bosses à quatre comme un ouf, tu ne sais pas ce que ça va donner, tu sors un son, tu ne fais gaffe qu’aux critiques… Tu te prends collectivement des tartes dans la gueule et ça t’oblige à grandir, donc c’est une belle histoire. Et ce n’est pas parce qu’on a des envies différentes, que tu rencontres des personnes différentes, que tu ne gardes pas ça. On est un groupe de potes où on se fait des vannes qui sont toujours les mêmes, sur le gars en retard, le gars qui ne se brosse pas les dents, le gars qui fume trop de weed, celui qui ne pense qu’à bouffer… c’est resté la même chose. Parfois on essaye d’être adulte, c’est un peu bizarre. Mais on a toujours eu un vrai respect et un amour pour chacun, et tant qu’il y a ça, même si on prend des voix différentes, ça ne bougera pas. On a démarré ensemble à Lille, et on a finalement été un peu à la guerre ensemble. Quand tu es face à 4 000 personnes sur scène, que tu as dormi deux heures, que tu as un câble qui se débranche et que tu dois trouver un moyen pour que l’autre le rebranche, c’est une scène d’action dans Star Wars. Et ça te soude.

Photos : Brice Bossavie et Quentin Crestinu (Laptop)
Incrustations : Lambert Duchesne (Ville, Ciel) et Mathéo Favrel (Espace, Laptop)
Studio : Bon Coeur Studio

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