💿 The Murder Capital publie son nouvel album et le décortique pour Tsugi
Après quaÂtre ans d’attente, les Irlandais de The MurÂder CapÂiÂtal livrent enfin leur secÂond album, Gigi’s RecovÂery. Un temps nĂ©cesÂsaire pour aboutir Ă un album intense, dont la rĂ©usÂsite dĂ©passe largeÂment la scène post-punk briÂtanÂnique, et dont le chanteur James McGovÂern et le batÂteur DiarÂmuid BrenÂnan nous dĂ©tailÂlent le procesÂsus crĂ©atif. Entre introÂspecÂtion, changeÂment et sincĂ©ritĂ©.
“Only Good Things” : seuleÂment les bonnes choses. C’est par ce titre que le quinÂtet irlandais The MurÂder CapÂiÂtal faiÂsait son retour en juilÂlet dernier, trois ans après le très rĂ©usÂsi When I Have Fears. Car le sucÂcesseur de ce dernier, Ă l’image de ce preÂmier sinÂgle, se veut bien plus lumineux. Pas très dur, pourrait-on dire, tant le preÂmier essai des DubliÂnois Ă©tait torÂturĂ©. Mais le tour de force du groupe est d’avoir su trouÂver cette lumière au cĹ“ur mĂŞme de ces tĂ©nèbres — et d’y ĂŞtre restĂ© accrochĂ© coĂ»te que coĂ»te. En rĂ©sulte un disque surÂprenant, et surtout bouleverÂsant d’émotions ausÂsi sincères qu’intenses.
Faire cela a pris du temps. RĂ©vĂ©lĂ©s au mĂŞme moment, leurs comÂpaÂtriÂotes de Fontaines D.C. ont dĂ©jĂ sorÂti deux albums depuis, devenant la tĂŞte de proue du revival post-punk. The MurÂder CapÂiÂtal, la bande menĂ©e par le chanteur James McGovÂern a choisi de prenÂdre son temps, et d’opĂ©rÂer un pas de cĂ´tĂ© de ce genre fourre-tout. Bref, de changÂer. “L’essenÂtiel du disque a Ă©tĂ© Ă©crit alors qu’on Ă©tait tous les cinq isolĂ©s ensemÂble” raconÂte le chanteur. “Et c’éÂtait le meilleur disÂposiÂtif pour nous, bien mieux que de tout faire en Ă©tant Ă©loignĂ©s, via dropÂbox ou je ne sais quoi. On Ă©tait conÂfronÂtĂ©s Ă nos ombres, Ă beauÂcoup de choses intĂ©rieureÂment. Des choses qu’on ne peut pas exprimer en tournĂ©e, parce que le rythme est intense, et toute l’énergie passe dans le simÂple fait de rester debout. Cet enviÂronÂnement nous a vraiÂment poussĂ©s Ă changÂer, en tant qu’inÂdiÂvidus mais ausÂsi en tant que groupe.”
Cette idĂ©e de proÂgresÂsion se retrouÂve brilÂlamÂment exprimĂ©e dans la strucÂture de l’album, ouvrant et clĂ´ÂtuÂrant sur deux titres presque idenÂtiques. Presque, oui, car tout rĂ©side dans cette envie de changeÂment. Les texÂtures oppresÂsantes laisÂsent place Ă une douce guiÂtare, et les paroles glisÂsent subÂtileÂment vers une fin plus ouverte. Surtout, on a vĂ©cu entre les deux titres un tourÂbilÂlon d’émotions, culÂmiÂnant avec un titre Ă©ponyme puisÂsant. Dans un style rĂ©solÂuÂment rock, mais avenÂtureux, rapÂpelant parÂfois les grandes heures du post-rock dans une forme bien plus viscĂ©rale.
C’est que les influÂences ont Ă©tĂ© renouÂvelĂ©es, y comÂpris au-delĂ de la musique. Après avoir citĂ© le poète Keats ou Albert Camus, McGovÂern Ă©voque les poèmes d’amour de Paul ÉluÂard, T.S. Elliott ou le cinĂ©Âma de FelliÂni, avec touÂjours une Ă©moÂtion Ă fleur de peau. Mais c’est sur le plan musiÂcal que l’évolution se fait le plus senÂtir. “On a voulu changÂer d’univers sonore” explique le batÂteur DiarÂmuid BrenÂnan, “sorÂtir des musiques satÂurĂ©es”. Si l’atmosphère hanÂtĂ©e peut touÂjours Ă©voÂquer Joy DiviÂsion, le groupe parÂle Ă©galeÂment d’Ennio MorÂriÂcone, Alex G et surtout RadioÂhead : “un de ces groupes qui sont touÂjours en Ă©voÂluÂtion, sans perÂdre l’eÂsprit de belles chanÂsons pop”. Une influÂence palÂpaÂble dans le titre “The Lie Become The Self” ‑oĂą McGovÂern singe presque Yorke- ou dans le très bon “The Stars Will Leave Their Stage” sur le plan instrumental.
Plus largeÂment, le groupe s’est livrĂ© Ă un imporÂtant traÂvail sur les texÂtures de l’album. “On a explorĂ© des sons qu’on voulait plus optiÂmistes” explique BrenÂnan, “avec une volonÂtĂ© de garder espoir malÂgrĂ© l’isolement qu’on vivait”. Cela ne veut pas dire que The MurÂder CapÂiÂtal soient devenus des bisounours, bien loin de lĂ , comme l’avoue McGovÂern. “L’album reste somÂbre, quand on dĂ©corÂtique vraiÂment les chanÂsons”. MalÂgrĂ© son parÂcours plus lumineux, le disque explore des senÂtiÂments très durs, en parÂtiÂcÂuliÂer hors des sinÂgles, dans des titres comme “We Had To DisÂapÂpear” ou l’étrange “BelongÂing”, donÂnant l’impression de danser avec des fanÂtĂ´mes. Car un point dresse une conÂstante entre les deux albums du groupe : l’intensitĂ© Ă©moÂtionÂnelle. “J’ai touÂjours eu ce dĂ©sir de ressenÂtir les Ă©moÂtions le plus fort posÂsiÂble” conÂfesse McGovern.
Au-delĂ de cette recherche de lumière, les cinq musiÂciens ont ainÂsi dĂ» se livrÂer Ă un traÂvail d’honnĂŞtetĂ© vis-Ă -vis d’eux mĂŞmes. “C’était difÂfiÂcile par moments, mais nĂ©cesÂsaire, explique McGovÂern, parce que l’album est plein d’amour au final”. Cette sincĂ©ritĂ© l’a notamÂment libĂ©rĂ© dans son Ă©criÂtÂure, lui perÂmeÂtÂtant une vulÂnĂ©raÂbilÂitĂ© peut-ĂŞtre encore trop rare dans le punk. “C’est la magie de l’écriÂtÂure, c’est Ă quel point ça m’exÂpose Ă mon moi futur. En relisant mes paroles, je vois mon Ă©voÂluÂtion, et c’est une vraie rĂ©comÂpense”.
Plus largeÂment, chaque titre de l’album fait senÂtir l’importance Ă©norme d’un lâcher-prise Ă©moÂtionÂnel. Peut-ĂŞtre est-ce, justeÂment, le prinÂciÂpal Ă©cart fait au genre du post-punk : son absence de cynisme, perÂmeÂtÂtant une exploÂration très frontale des senÂtiÂments. “Le cynisme empĂŞche de vraiÂment croire en ce qu’on proÂduit” souligne BrenÂnan. “Surtout dans notre façon d’écrire, oĂą on doit ĂŞtre tous les cinq conÂvaÂinÂcus par ce qu’on joue pour que ça marche, qu’on avance”.
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Tout l’équilibre de l’album repose sur cette conÂfiÂance des musiÂciens. Et après un long traÂvail en comÂmun, l’arrivĂ©e d’un regard extĂ©rieur a perÂmis de la conÂcrĂ©ÂtisÂer. Un regard reprĂ©senÂtĂ© ici par le proÂducÂteur John ConÂgleÂton, disÂciÂple de Steve AlbiÂni, et colÂlabÂoÂraÂteur de St. VinÂcent, Sharon Van Etten ou RegiÂna SpekÂtor. “On a tous, indiÂviduÂelleÂment et colÂlecÂtiveÂment, une super relaÂtion avec John, grâce Ă sa capacÂitĂ© de provoÂquer l’auÂthenÂticÂité” raconÂte McGovÂern, “à nous aider Ă nous senÂtir libres durant l’enÂregÂistrement. Il nous a aidĂ©s Ă croire en ce qu’on avait fait, tout en laisÂsant le champ libre pour changÂer ce qui devait l’être.”
BrenÂnan met le doigt sur le prinÂciÂpal rĂ´le du proÂducÂteur : “Tout Ă©tait quaÂsiÂment Ă©crit, mais John nous a surtout poussĂ©s Ă accepter que quand un morceau est fini, il ne faut plus y touchÂer. Et sans ĂŞtre tyranÂnique, juste factuel. Les morceaux doivent ĂŞtre des capÂsules temÂporelles, qu’on laisse lĂ et qu’on retrouÂve : quand j’éÂcoute l’alÂbum, j’enÂtends les bons moments, les conÂnexÂions entre nous, tout ce qu’on a vĂ©cu en le crĂ©ant. Tout est lĂ . Mais pour que ça soit lĂ , il faut aller de l’aÂvant.” Car mĂŞme si on a envie d’écouter le disque encore et encore, le proÂgrès repose surtout dans ce qu’on accepte de laissÂer derÂrière nous. Et qui ne sera, en rĂ©alÂitĂ©, jamais perdu.