Pour sa bande originale du film événement Sirāt, le discret DJ-producteur français Kangding Ray avait peu de contraintes. Il suffisait que sa techno soit intense et sans compromis, à l’image du long-métrage du Franco-Espagnol Óliver Laxe. Paru dans le Tsugi n°184, nous republions l’article à la suite de l’annonce de la présence de Sirāt dans la shortlist de la catégorie meilleure bande originale pour les Oscars 2026. 

« Óliver Laxe a fait le premier pas en me contactant. Il connaissait ma musique, en particulier Solens Arc, mon album de 2014, dont il voulait au départ utiliser deux titres. C’est un disque au son particulier, très analogique, sombre et brut, granuleux. Il possédait l’ambiance que recherchait Óliver. La bande originale de Sirāt est d’abord née de très longues discussions chez moi à Berlin.

Pendant des jours, on a écouté des disques venus de tous les horizons, piochés dans ma collection de vinyles. On a parlé musique, ambiances, son. Je lui ai fait découvrir mon univers, lui m’a fait écouter des choses et on a essayé d’identifier ce que l’on avait en commun et ce que l’on aimait. On a cherché à définir un langage commun pour pouvoir avancer ensemble, parce qu’on savait qu’on s’embarquait sur un long chemin… presque deux ans de travail.

Pendant quasiment un an, je n’ai travaillé que sur le script. On n’avait pas d’images car rien n’était encore tourné. J’aurais bien aimé faire autrement, mais je n’ai pas eu le choix. Cela dit, il m’a impliqué très tôt dans le projet – souvent les compositeurs n’interviennent que vers la fin du processus –, il a tout de suite senti que la musique allait être quelque chose d’important. Au fur et à mesure, elle a pris de plus en plus d’ampleur dans le film et a joué un rôle primordial.

Le travail de production de la bande originale comportait peu de contraintes, à part celles de ne pas faire de compromis et d’être intense dans ses intentions. C’était le brief : provoquer des émotions intenses, qu’elles soient dures, belles, lumineuses ou dark. C’était l’un de mes prérequis pour me lancer dans cette aventure : je ne voulais pas que les scènes de rave ou de techno fassent cheap. Je voulais que ce soit le plus vrai possible et pas un pastiche, comme trop souvent. J’avais une responsabilité de montrer au grand public la réalité de la scène techno, sans distorsions ni clichés.

On s’inscrivait dans le monde de la free party, celui des teufs et des travellers, qui n’est pas vraiment mon monde à la base. Il était important que j’y sois accepté. J’ai ainsi joué dans la rave que l’on voit dans le film, une vraie free party organisée en Espagne par des collectifs de teufeurs à la demande de la production.

La BO a connu des aménagements, on a fait beaucoup d’allers-retours. Parfois, on s’est trompés, on est revenus en arrière, on a changé d’avis… Je croyais être jusqu’au-boutiste, habité par mon travail, intense et sans concession, mais avec Óliver, je pense que j’ai trouvé mon maître. Après, c’est une question de choix, et il me semble qu’on a globalement fait les bons. En fait, on le sait quand on visionne le film. On se met dedans et on commence à comprendre la mécanique. Et la magie opère… ou pas. Et quand ça fonctionne vraiment, c’est une évidence : le son est posé, l’image réagit, ça vibre, le bon message est transmis. »