RONI b2b Amor Satyr – Panoramas festival | © @morganographe
RONI et Amor Satyr, inspirant tandem de la scène électronique française. Leur genre est protéiforme, entre rave et mental, fruit d’une hybridation entre dub, drum’n’bass, techno, ghetto tech, bass, break, tribal… Au cours d’un échange passionné — et passionnant — dans les loges du festival Panoramas, Tsugi a voulu dresser avec eux un large panorama de la scène underground actuelle. Et concocter avec soin, le guide du parfait DJ.
Si le festival est le lieu de belles rencontres et découvertes, il est aussi celui qui révèle les noms à suivre sur la scène musicale actuelle. Deux conditions remplies avec le détonant back-to-back entre Amor Satyr et RONI lors du Panoramas Festival. Sur le canapé des loges, on se rencontre, on plonge dans une introspection de la vie d’artiste, et on s’extasie devant le bouillonnement prometteur de la scène française. Un tout captivant, rassemblé pour constituer un guide du parfait DJ — ou, du moins, pour mieux les comprendre.
Chapitre 1 : Influences et premières expériences
Tout commence quelque part. Rares sont celleux qui n’ont pas été marqué·es par un vinyle tournant dans le salon, ou par un CD entendu depuis la banquette de la voiture familiale. Amor Satyr et RONI n’y échappent pas. Si l’un partage ses premiers amours pour le reggae et le rap, l’autre ouvre la sonothèque de son enfance.
RONI : « Mon père est un grand mélomane, il avait une tonne de CDs et de vinyles. Il écoutait beaucoup de jazz et de rock, mais pas seulement. J’entendais aussi passer de la salsa, du raggamuffin, du zouk ou encore du kompa. Dès que je m’ennuyais, j’allais piocher dans ses disques. Je me souviens d’avoir pris une claque quand j’ai écouté The Jimi Hendrix Experience. Je ne l’ai pas lâché, ça a duré deux ans (rires). Ado, j’ai eu un moment néo-soul : Erykah Badu, Jill Scott… Puis, vers 14 ans, je suis tombée dans la house. »
« Ma mère adorait faire la fête. J’ai commencé à sortir en club avec elle à 12 ans. »
« Ça pouvait être pour de la salsa au Barrio Latino, mais aussi dans des clubs généralistes. J’y ai découvert un tout autre pan de la musique, celui de l’électronique, qui s’est affirmé quand j’ai commencé à écouter Radio FG.«
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RONI : « J’ai commencé à mixer très tard. Il y a 8 ans, peut-être. À ce moment, je n’arrivais pas à accepter que ce que je faisais – mon premier rêve – ne m’épanouissait pas assez. Je refusais de lâcher. Après le burn-out, le seul moment de me retrouver a été de faire une activité qui soit en lien direct avec mon âmeJ’ai quitté mon job, et c’est pour me guérir de tout ca que j’ai appris à mixer. Puis j’ai voulu faire vivre tout cela en montant une radio pirate que je diffusais depuis chez moi, ou en publiant des mixes sur facebook.
« Un jour, Manaré m’a contactée et m’a dit : ‘Tu veux pas faire ça sur Rinse, plutôt que dans ta chambre ?' »
Quand il m’a proposé l’émission, jamais je n’aurais imaginé que ma vie allait devenir celle-ci. Je ne pensais pas y arriver. J’avais toutes les barrières mentales, toutes les croyances limitantes que tu peux avoir. Et la vie m’a dit : ‘Et siii ?’ »
Chapitre 2 : On peut tous et toutes être DJ ?
‘Vouloir’ ne veut pas toujours dire ‘pouvoir’. La question se pose alors : est-ce qu’on aime la fête, ou la musique ?
Amor Satyr : « Aujourd’hui, quand tu travailles, la musique électronique devient un milieu accessible. Ça n’a rien à voir avec ce qu’il était possible de faire il y a 20 ans. Il fallait acheter des machines, un ordi, aller chez le disquaire…
Si tu es vraiment passionné·e et que tu y consacres des heures et des heures, tout est possible. Après, il faut se poser et trancher : est-ce que tu aimes la musique ou juste la teuf ? Est-ce que tu peux sacrifier un samedi soir en club pour digger et préparer tes tracks ? L’aspect social compte, évidemment. Mais il faut réussir à trouver une bonne balance. »
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Chapitre 3 : Apprendre la science du mix sans matos
Dans cette phase d’apprentissage et de préparation, les DJs se confrontent rapidement à un grand paradoxe du métier : ils travaillent sur du matériel qu’ils ne pourront probablement jamais s’offrir.
RONI : « Personne n’a les moyens de s’acheter des CDJ-3000. La plupart de mes potes ont commencé sur des CDJ-850-K. Tu as beau caler ton BPM, y’a rien qui est beat matché. Même des artistes habitués aux clubs, je les ai mis sur des 850 : ils ont galéré. »
Amor Satyr : « C’est un peu frustrant. C’est trop bien de faire du freestyle. Mais par exemple, si on t’invite au Dekmantel, tu vas vouloir travailler ton set : deux-trois transitions, faire matcher trois tracks ensemble. Tu peux le faire sur des CDJ-2000, mais ce sont pas exactement les mêmes boutons. Et avec la pression du live, tu peux paniquer et ne pas avoir le temps de kiffer, de faire le show. »
Chapitre 4 : Préparer son set ou arpenter le ‘full freestyle’ ?
Si le matériel qu’on retrouve en club n’est accessible qu’à une infime partie de la population, il reste toujours possible de préparer son set. Laurent Garnier crierait sans doute au scandale, mais face à la pression, la question mérite d’être posée.
Amor Satyr : « Quand on joue ensemble, c’est freestyle. » (rires)
RONI : « En général même, on est freestyle. (rires) Pour les dates clés, je travaille un peu plus, pour être plus présente et connectée avec le public. »
Amor Satyr : « Même si je compose sur place, j’aimerais avoir le temps de bosser davantage certaines transitions pour vraiment embrasser l’art du blend parfait. Comment et quand faire entrer un track ? Où choper la meilleure loop ? Cela dit, l’idée n’est pas de faire tout un set pré-enregistré. Ce n’est pas un live. »
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RONI : « Ça me rappelle une anecdote ! Après avoir vu le set d’un gros DJ qu’on ne citera pas, un ami est devenu complètement fan. Pendant un an, il a réécouté le set en boucle au point qu’il le connaissait par coeur. Après cette année d’obsession, il est retourné le voir… Et le DJ a servi le même set. D’un coup, tout un mythe s’est effondré. En tant que DJ, si tu sers la même soupe tous les soirs, le métier perd son sens et il n’y aucun plaisir à refaire la même chose. Surtout que t’as des gens qui peuvent se pointer à tous tes sets… et qui s’attendent à être surpris. »

Chapitre 5 : Doit-on avoir peur de ne pas surprendre ?
L’essence du métier de DJ consisterait à construire une histoire à partir de l’atmosphère d’une scène, d’un public ou d’un club. À travers leurs tracklists, Amor Satyr et RONI prouvent que cela va au-delà, pour créer une expérience inoubliable.
Amor Satyr : « La majorité du temps, j’ai l’impression de faire quelque chose de basique. Dans le sens où je n’ai pas assez repoussé mes limites. Sur mes sets, je veux aussi montrer quelque chose de ma musique qui ne pourra être compris qu’en live. »
RONI : « J’ai rarement peur de ne pas surprendre. C’est plutôt l’inverse. Je me demande toujours si je vais réussir à créer quelque chose de narratif, de fluide. C’est vrai que j’aime bien tacler les gens. J’ai peur que le public se lasse s’il rentre dans un tunnel rave. » (rires)
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Chapitre 6 : Les deux faces d’un même artiste
Aujourd’hui, peu de DJs se consacrent exclusivement aux platines. On les retrouve aussi dans les studios d’enregistrement, dans un rôle radicalement différent. RONI partage ses réflexions sur cette double casquette : DJ et producteur·ice.
RONI : « D’après moi, il y a deux facettes chez un·e artiste : d’un côté, tu peux être 100 % fan de ce qu’iel produit, et de l’autre découvrir ses influences à travers un DJ set, par exemple.
Un·e DJ au sens propre doit faire danser. Iel crée la vibe, sent les gens, s’adapte, lit le public. Il ou elle prend les gens par la main et les emmène quelque part. De l’autre côté, il y a l’artiste qui défend un projet, un type de son. Le challenge est de trouver un équilibre entre les deux. Sur dix gigs, il y en a cinq où tu dois jongler entre ces deux faces. »
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RONI : « Si je me base sur mon expérience de clubbeuse max, tous les artistes que je connaissais via leur production m’ont à chaque fois, d’une certaine manière, soit déçue, soit surprise. Simplement parce qu’ils ne répondaient pas à l’imaginaire que je m’étais créé autour d’eux.
Aujourd’hui il y a une forme d’uniformisation, donc l’écart entre DJ et producteur·ice se réduit. On produit des tracks qui ressemblent à ce qu’on jouerait, pour les passer en set et faire de la promo en même temps.
« Pour moi, les meilleur·es DJs sont ceux et celles qui m’ont emmenée dans des endroits inconnus. »
C’est aussi une pression : quand tu grossis, tu dois continuer à coller au personnage que les gens imaginent de toi. Mais en tant qu’artiste, tu évolues constamment, tu découvres toujours de nouvelles choses. Tu fais un morceau qui sort six mois plus tard, mais dans ce laps de temps, tu as vécu mille trucs et découvert plein d’autres sons.
Par exemple : un label sort une compile. Tu l’écoutes et tu ne comprends rien. Quelques mois plus tard, tu la réécoutes et tu te rends compte que c’était ultra-visionnaire. »

Chapitre 7 : Regarder vers le futur – la musique électronique, ce n’était pas ‘mieux avant’
Stop à vos tontons DJs ! La musique électronique ne s’est pas arrêtée avec la French Touch.
Amor Satyr : « Depuis la fin du Covid, c’est une claque permanente. Si t’es un diggeur, c’est le paradis. Je regrette de ne pas avoir 20 ans maintenant. À l’époque, je diggais sans m’arrêter. Maintenant avec la production, j’ai moins le temps.
« Les personnes qui disent que la musique électronique, c’était mieux avant… qu’elles aillent se coucher. »
Dès que je digge, je trouve des pépites dans toutes les scènes : UK music, hard techno, dubstep… Toutes les ‘niches’ de la musique électronique.
À part la French Touch (qui n’est pas si underground que ça) en France, on n’a jamais eu une scène bien à nous… Comme l’Allemagne avec la techno, la Hollande avec le hardstyle, ou l’Angleterre… avec tout ! (rires) »
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« Notre grande force, c’est de créer des ponts. On est un pays d’incubation, une force qu’on tient de l’immigration — mais qu’il faut aussi replacer dans le contexte de notre passé colonial. On a la chance de côtoyer toutes ces cultures : l’afro, le baile, le gabber, la techno… On a été les premiers, vers 2017-2018, à créer autant de ponts dans la musique.
« Il y a vraiment eu une période pré-covid où la France avait les meilleurs DJs. »
« On jouait plein de styles différents. C’était facile de se faire remarquer, parce que dans leur scène, la plupart des DJs jouaient tous la même chose. Depuis la fin du covid, tout le monde a eu le temps de se poser et de s’ouvrir à d’autres genres. Cette tendance s’est étendue à d’autres pays. L’Angleterre s’ouvre à une techno mêlée d’afro, l’Allemagne au baile funk… »
RONI : » … tout ça a permis de faire respecter la scène française… «
Amor Satyr : « … Avant, tout le monde s’en foutait ! »
RONI : « On arrive à un moment où des artistes prolifiques émergent dans toutes les scènes, et ça rayonne. On sent cette fusion chez les nouveaux labels. Ils sont nés sur Bandcamp. Ils n’auraient jamais pu exister avant, mais ils sont devenus des plateformes puissantes qui rassemblent à chaque sortie. Je pense notamment à Wajang. »
Chapitre 8 : Faut-il jouer les classiques ?
Lors des premiers tests sur les boutons d’une console, on martèle souvent aux apprenti·es DJs qu’il faut creuser dans l’underground. Amor Satyr rappelle pourtant la puissance des classiques.
Amor Satyr : « Ce sont d’autres DJs qui m’ont appris ça. Krampf, de Casual Gabbers par exemple ! À ce moment-là, je jouais des sons très mentaux comme de la dubstep. On passait des morceaux qui se ressemblaient beaucoup, jusqu’au moment où il balançait un gros tube de rap ou d’eurodance. »
« Le lendemain, quand tu te réveilles d’un tunnel de tracks rave, tu te souviens du contraste de ce morceau. »
« En plus, c’est souvent des morceaux qui résonnent avec le moment de la puberté, de l’excès d’hormones, d’émotions. Que le morceau soit pointu ou pas, c’est une période où tout est vécu de manière extrêmement intense, et ça permet d’ancrer les sons plus profondément en toi. C’est un peu comme les amitiés d’enfance : même si tu n’as pas vu tes potes depuis dix ans, ils font partie de ta construction, de ta fondation. »
On se souvient d’ailleurs bien du dernier track de leur set :
Chapitre 9 : La force du B2B
L’exercice du b2b (‘back-to-back’, ndlr) est souvent incontournable… et tant mieux ! Le duo RONI et Amor Satyr n’est pas nouveau : ami·es, tous deux dans le giron de l’agence a4 system. Iels partagent leur vision de l’alchimie musicale derrière les platines.
RONI : « Le b2b m’inspire et me surprend. On est potes, on se connaît bien. Ça nous permet de nous challenger dans une espèce d’enchère très saine. »
Amor Satyr : « Un bon b2b ne fonctionne que s’il y a un vrai dialogue. Il ne faut pas être l’un contre l’autre, ni se sentir menacé par l’autre. »
RONI : « La force de ces b2b, c’est exactement ce qui s’est passé aujourd’hui [à l’édition 2025 du Panoramas Festival]. Gaspard me dit : ‘Aujourd’hui je passe de la tech house.’ J’ai tout de suite pensé : ‘Mais pourquoi j’ai pas de dossier tech house ?’ Je sais que je vais digger ça dans les mois qui viennent. »

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Chapitre 10 : Atteindre son rêve
Quand on touche pour la première fois les platines ou lors de sa première scène, un espoir nait et un rêve aussi. Mais que se passe-t-il lorsqu’il est enfin réalisé ?
RONI : « J’ai joué au Berghain. C’était une première pour moi. Et c’était aussi mon rêve. C’est difficile de comprendre ce qui t’arrive à ce moment-là. »
Amor Satyr : « … Et en plus, tu dois en trouver de nouveaux ! » (rires)
RONI : « Ça fait partie de la nature humaine, d’en chercher d’autres. Ça m’a vraiment interrogée sur la question des représentations qu’on se fait. Quand tu vis le truc, tu n’es pas dedans. Quand tu vis un rêve que tu as depuis des années, tu n’es pas tout à fait présent. Tu as tellement projeté de choses qu’au moment où ça a lieu, c’est comme si tu étais en dehors de ton corps. Est-ce que vivre ton rêve est moins fort que l’avoir imaginé ?
Est-ce que c’est juste ton cerveau qui n’arrive pas à assimiler ce que tu viens de vivre ? Ton corps se dissocie de ton mental. On est des êtres magiques. Même quand on pense ne pas en être capables, ça finit par arriver quand même. »
Toutes les cartes sont désormais dans vos mains avec ce mini-guide du parfait DJ. Vous n’avez plus qu’à remercier RONI et Amor Satyr. Ça tombe bien, leurs différents projets sortent bientôt. Rendez-vous le 10 juin pour le premier EP de RONI sorti sur Nehza Records, intitulé celestial, et un torrent de nouvelles collaborations d’Amor Satyr sur Wajang – notamment Speed Dembow vol.3 avec Siu Mata.