© Lisa Doguet
Halfpipe Records, collectif et label aux sonorités UK, fait sensation dans les soirées parisiennes -et même de l’Hexagone. Leur concept : mettre une rampe au centre du club et inviter, durant leur set, skateurs et skateuses à faire de beaux backflips.
Après un set de 14h à 17h à sur la scène électronique de We Love Green, on rencontre le collectif et label Halfpipe Records – résident sur la web radio Rinse. Avec en musique de fond le concert d’Ezra Collective, la pression redescend et on s’installe entre deux vannes à une place de pique nique. Pas de jambon beurre ou de minis paquets de chips au programme, mais le menu prévu est tout aussi croustillant : une rampe dans un club, une french touch 5.0, le Sziget et Pedro Winter. On s’explique et on se rencontre :
On entendait quoi chez vous, quand vous étiez enfants ?
Matthieu :
« Énormément de rock. J’ai une famille très musique. On en a tous fait ! On a même bricolé une salle dédiée chez mes parents. J’avais même un groupe avec mon frère. Le tout, donc, sur un héritage rock : Led Zeppelin, Rolling Stones, Pink Floyd, Jimi Hendrix.«
Paul :
« Beaucoup de rock aussi dans une partie de ma famille. Hard rock même ! Et du jazz du côté de mes grands-parents. C’est marrant parce qu’aujourd’hui tout ça s’est électrisé, mais ça reste central dans la formation de mon oreille musicale. La musique électronique est venue plus de manière solitaire. J’ai grandi à la campagne, donc ma source de découvertes venait davantage des blogs et des pages SoundCloud. Une cousine chargeait mon iPod de tracks aussi, et je découvrais des trucs. C’est durant les études finalement, que tu connectes avec les gens et que tu te rends compte que tu n’es pas le seul à aimer ça. »
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Y a-t-il un son / un genre qui vous a attrapés à ces moments de découverte ?
Paul : « Je suis de 1995. Mon adolescence a été bercée par Daft Punk, Justice et toute la team Ed Banger. Bon aussi — je n’ai pas honte de le dire — j’ai eu une grosse période dance. J’étais trop fan d’Avicii ! (rires) Tout n’a pas bien vieilli, mais ça m’arrive de réécouter des tracks avec un immense plaisir. »
Matthieu : « Bouhhh » (rires)
Paul : « À partir de cette base, je me suis mis à creuser dans des niches et ça m’a permis d’affiner, de définir mes goûts. SoundCloud et ses playlists ont fait le gros du travail. Je faisais des playlists que je passais sur eMule et je mettais les téléchargements sur mon MP3. La belle époque du pair-à-pair — et de bonne qualité ! »
Matthieu : « Pour moi, cette découverte s’est faite de la même manière. Au lycée, je me suis buté à la musique électronique. D’un autre côté, ça avait du sens : la scène de Lyon était inspirante. Il y avait Gesaffelstein, Bromance, Brodinski… et j’étais un énorme fanboy de tout ça ! Il y a les Nuits Sonores, des bêtes de clubs comme le Sucre — qui a été le premier pour moi.

Comment vous êtes vous rencontré ?
Matthieu : « À 17 ans, je suis parti en prépa à Grenoble et j’ai rencontré Paul qui était une année au-dessus. »
Paul : « On était destinés à une grande carrière à l’époque. »
Matthieu : « Une carrière avec des costumes ! J’ai vu Paul mixer là-bas. Ça m’a donné envie de faire pareil. Après un interrail où j’avais découvert plein de nouveaux clubs, je me suis acheté un contrôleur Traktor S2 et c’est à ce moment-là qu’on a vraiment commencé à jouer ensemble. On est passés par plein de styles : French Touch 2.0, techno deep, la scène drumcut… Puis il y a eu l’époque disco, dans les alentours de 2017. J’ai produit mes premiers morceaux dans ce style-là. »
Paul : « Il y a aussi toute une histoire avec la production du côté de Thomas — le troisième membre du label. Mais il ne peut pas la raconter aujourd’hui, il est à un mariage. » (rires)
La musique électronique vous a réunis pendant votre prépa, est-ce que c’est la UK garage qui vous a permis de vous retrouver ?
Matthieu : « Depuis 10 ans, si je regarde toute la musique électronique que j’ai écoutée — les Four Tet, Floating Points — cette musique très aérienne, electronica, m’a accompagné plus que des phases ou des courants que j’ai pu jouer parfois que quelques années. Quand on s’est retrouvés à Paris, Paul a amené toute la musique speed garage plus bordel. »
Paul : « J’ai travaillé quatre ans chez Deezer. J’étais dans l’équipe internationale en 2019. Je passais beaucoup de temps à Londres, dans ses clubs, festivals et salles de concerts, lorsque la scène UK garage grossissait avec une génération de jeunes — des Sammy Virji, Interplanetary Criminal — qui se réappropriaient les codes OGs. (rires) J’ai adoré ! Au moment où on a réfléchi à Halfpipe, on a voulu mettre tout ce qu’on aimait. C’est un peu comme ça que la UK a pris sa place. »
Est-ce qu’une scène parisienne UK garage comme 2-Steppers vous a aussi influencés ?
Matthieu : « Pour être honnête, pas tant que ça. Forcément ça a joué. Les 2-Steppers sont là depuis longtemps ! On ne prétend pas avoir ramené quelque chose qui n’était pas là. Quand on a monté le projet il y a 3 ans, on avait une identité assez tech-house UK et bass. Ce sont des sons en 4×4 faciles à placer, assez easy listening. Quand on tentait des musiques plus breakées, ça ne fonctionnait pas. À un moment on a affirmé ce côté UK, et on sentait aussi que le public était plus ouvert à ça. »
Paul : « Il y a eu deux choses conjointes. Petit à petit le public s’est habitué, il découvrait. Mais aussi, on a réussi à consolider notre public avec le temps. Ils venaient donc plus pour cette énergie-là que par hasard. On s’est retrouvés à la fin, à faire des soirées où les gens ne voulaient pas de 4×4 mais seulement du break. »
Matthieu : « On en discutait avec les 2-Steppers. Des gens nous ont dit : ‘merci d’avoir ramené ce son’. Mais nous, on n’a rien ramené, c’était là. Juste, je pense qu’on a communiqué de manière assez précise sur nos intentions, avec une démarche presque pédagogique. »
Paul : « Il y a pas mal de programmateur·ices qui ont diggé et ramené plein d’artistes à Paris, mais à ce moment-là tout le monde ne savait pas à quel point ils étaient gros, juste avec les noms sur l’affiche. On s’était dit que si on se forçait à faire un line-up avec des artistes qu’on aime, on voulait expliquer pourquoi on les aime. «
- Mais donc ça vient d’où, Halfpipe ?
Matthieu : « C’est le moment où on parle de celui qui n’est pas là : Thomas. On a exactement le même héritage musical et maintenant d’expérience de coloc. Ça fait six ans qu’on habite ensemble à Paris grâce à un pote en commun. On a commencé à faire de la musique ensemble, de la prod pour des copains qui rappaient, de la gratte. Au bout d’un moment, on s’est dit : ‘vas-y, on monte un truc’. On crée une extension de nous, et on voit ce que ça donne. Ce n’était pas spécialement pour organiser des teufs, mais vraiment pour monter un label. »
Paul :
« Il y avait un côté très naïf derrière tout ça. »
Matthieu : « On était data analysts à ce moment-là, on ne pensait pas du tout vivre de musique. On s’est reposés sur cet héritage commun de groupe de rock, du skate qu’on a fait pendant très longtemps, une esthétique qu’on aimait bien. C’est venu naturellement : ‘on va appeler ça Halfpipe’. On a réalisé deux teufs, à la fin de l’été, Thomas n’était pas là. On avait une soirée de bookée, je ne voulais pas jouer solo, je me suis dit : ‘il y a ce bon vieux Paulo’ avec qui je mixais en école et que j’avais un peu perdu de vue… »
Paul : « On commençait à se recroiser à ce moment-là en concert. Le premier concert de Fred Again.. en France à la Machine, par ailleurs ! » (rires)
Matthieu : « Paul est venu. Ça a matché musicalement. Il a rencontré Thomas et deux mois après, il était dans Halfpipe. On est en été 2022. On a attendu un an et demi avant de se mettre à plein temps dessus avec Thomas. On a pris l’angle soirée très très vite. »
Paul : « Ce qui est marrant, c’est qu’avant de construire une communauté avec les soirées, le projet, c’était pas ça. Rien n’était calculé. »
Est-ce que le skate reste aujourd’hui au centre de votre identité ?
Matthieu : « La musique est au centre. Mais ça reste notre côté différenciant, une partie de notre ADN. »
Paul : « C’est l’élément liant entre la musique, notre état d’esprit et la direction artistique de Halfpipe. À un moment, on a tenté de centraliser le skate dans le projet. On a fait des teufs dans des skate parks, mais on s’est rendu compte que ce n’était pas totalement nous, que ce n’était pas notre place. »
Qu’est-ce que c’était un set Halfpipe à vos débuts, par rapport à aujourd’hui ?
Matthieu : »Dans nos sets, on cherche une énergie en jouant sur les montées, les breaks en variant de styles. Finalement, en mettant en avant ce caractère rock. Elle était peut-être plus brute et plus assumée à nos débuts dans les égards »
Paul : « Quand on est plus petit, j’ai l’impression qu’on essaye davantage de plaire à notre public à tout prix. Bon, on n’est pas big non plus. Maintenant, j’ai l’impression qu’on peut plus ancrer nos sets, leur donner un aspect plus singulier. »
Aujourd’hui vous êtes à We Love Green, mais quel lieu a accueilli la première scène Halfpipe ?
Matthieu : « Notre première date était à l’Imprévu, sur Grands Boulevards. Il y a eu le 45tours, Panic Room deux fois, le Jardin 21, la Recyclerie… On a fait le parcours classique des collectifs. Aucun de nous ne vient de Paris, on ne connaissait personne… Et ça pèse dans l’équation. On voit aujourd’hui des crews parisiens qui ont un pote qui taffe dans la musique, un autre dans un bar… Quand on est arrivés, on ne connaissait personne. On a suivi le parcours très scolaire. »
Paul : « Une des premières dates qui a compté, c’était une soirée à la Péniche Cinéma. Il y a un moment où on a failli arreter Halfpipe au bout de quelques mois parce qu’on n’arrivait pas à comprendre la vraie direction dans laquelle on voulait aller. À quelle point on devait inviter des guests parce qu’on faisait face à d’autres soirées curatés par des clubs qui ont plus de budget avec des têtes d’affiche. En mars 2023, on a décidé d’affirmer notre couleur musicale, notre vibe et les gens viendront pour ça. C’était donc à la Péniche Cinéma. »
Matthieu : « Après, il y a eu la date en novembre 2023 où on a ramené une rampe de skate au Point Éphémère. Et le vrai tournant, c’est sûrement la soirée l’année dernière à Mazette où on a invité EV et Soul Mass Transit System. On a enfin ramené des artistes UK de notre scène, ça a tourné sur les réseaux et on a fait sold out 4/5 jour avant – 1200 personnes. »

Vous avez fait une tournée « Nollie in the club » cette année, accompagnés de votre rampe de skate. Quel est bilan de ce beau tour des grandes villes de l’hexagone ?
Paul : « On vient de finir cette grande tournée. C’était incroyable. On est allé jusqu’à Milan. On était entre potes. On a emmené la rampe et le concept dans plein de villes où on était jamais passé avant. C’était épuisant par contre. On est douze sur la route à bord d’un camion. On fait des gros volumes de route. On dort à l’hôtel mais on se couche vers 7h et on part à 11h.
Mais le souvenirs sont fous et le publics était génial. Toutes les dates étaient uniques. Je pense que celle que j’ai préféré c’était Lyon. Le système son était fou, le public au rendez-vous et il y avait un grand niveau sur la rampe. »
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Matthieu : « Mes parents sont venus même ! Je pense que c’était aussi une de mes préférés hors celle à la Machine avec Pedro Winter. C’est dur d’analyser mais dans le parcours qu’on a eu je pense que Ed Banger a eu un rôle – je sais pas trop pourquoi ni comment.
On s’est croisé a différent moment : en openair dans un skate park, à We Love Green il y a deux ans. On a su plus tard, que c’était parce qu’on avait joué dans un skate park où il allait quand il était petit. Mais on sait même pas vraiment. Il nous a invité l’année dernière à Solidays. Quand on lui a proposé la Machine, il était trop content. Il nous a dit : « tous les jours je dis oui ».
Paul : « Quand on parle de l’héritage électronique et de nous, Ed Banger – comme tout le monde, c’est une légende. ça a été tellement important dans notre construction musicale. »
Halfpipe, ce ne sont pas que des soirées. C’est aussi un label. Quel a été le ressenti d’enfin sortir des sons ?
Paul : « Pour nous, c’était primordial. On s’appelait Halfpipe records sans que la moindre musique ne sorte pendant deux ans et demi. C’est comme ça qu’on veut aussi représenter la scène et donner de la force à la scène locale. Il y a par exemple Me & George, Unsho, Swoush, Maicee, Povoa avec qui ont collabore énormément et qu’on veut pousser. »
Quel direction musicale prend le label ?
Matthieu : « On adore ce qu’il se fait au UK mais on préfère qu’un jour on nous voit comme une french touch 4.0, 5.0 plutôt qu’une musique UK en France. Il y a un son qu’on veut défendre. Il a des influences qui viennent un peu de partout : speed garage, electro clash, turbine.
Paul : « On aimerait faire du son comme sur la scène Italienne et le collectif One Shot avec qui on a fait des soirées. Eux, ils sont tous basés à Milan, dans leur réseau on parle italien. Ils ont pas grandi spécialement dans la scène Uk, ils ont plein d’influences qui construisent un son bien à eux. L’ambition c’est : « comment poussé la scène française ? ».
Matthieu : « Il y a des artistes qu’on accompagne vraiment sur le label et qu’on invite sur les soirées. À côté on aimerait bien lancer, des singles, des collabs, des rendez-vous avec des artistes de la scène locale et de celle internationale. On a quelques beaux projets qui arrivent pour moment c’est surprise mais des noms d’artistes qu’on a déjà pu recevoir en guest sur des soirées. »
Le morceau « Mete » de Povoa sur votre compilation Low Lights Paris Nord, a été passé dans des sessions Boiler Room. Est-ce que ce track a créé de l’engouement autour du label ?
Paul : « En terme de stream, les morceaux club ne font pas énormément d’écoutes mais en terme d’achat on a vu de beaux résultats sur Bandcamp. »
Matthieu : « Le catalogue stream de plus en plus. Le profil de Me & George marche bien. Il fait de la musique qui pourrait parler aussi à des personnes qui ne sont pas spécialement férus de musique électronique. La musique de Povoa nous ouvre lui la porte d’un autre public des curators – comme Ben UFO. »
Paul : « Je me souviens quand on a reçu, la track on a senti qu’il se passait un truc. On l’a joué juste après au Mazette. »
Matthieu : « Le double drop, la fin en 4×4, avec des sonorités latines. Anecdote ! Justement Ben UFO avait la démo, il le jouait pas mal et il a envoyé un message à Povoa pour lui dire de rajouter une basse sur la dernière partie pour que ça groove plus. »
La saison estivale arrive, aujourd’hui c’est un retour à We Love Green et bientôt le Sziget ?
Paul : « Déjà We Love Green, ça a été une scène intéressante. On a fait trois heures de set. ça nous a laissé le temps de construire quelque chose et d’installer. Ça nous a fait bizarre au début d’ouvrir la scène parce qu’on peut pas s’appuyer sur la foule au début pour guider le mix. »
Matthieu : « D’habitude, on ne prépare pas vraiment nos sets. En général, on se parle 20 minutes avant. Et avec la tournée, on avait des sets de pics times bien rodés. Sur ce set, comment on était dans une toute autre configuration et qu’on avait le temps d’aller par plein d’endroits, on s’est vraiment posé pour discuter, pour s’échanger des tracks. On a commencé avec quelques choses de plus leftfeald, pusi plsu classique Halfpipe, des tracks plus tranché, « Mete » et de la jungle ! »
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Matthieu : « Le Sziget pour le moment ça nous semble tellement loin. C’est notre tourneur Bleu Citron qui nous a trouvé la date. Pour le moment, le seul truc prêt c’est nos billets d’avion ». (rires)
La suite pour Halfpipe ?
Matthieu : « Pour cette été, on part sur une grosse tournée de festival. On passe donc au Sziget, sur la même scène qu’EV qu’on avait déjà invité ! Puis de septembre à février, on va faire une tournée des clubs avec une étiquette label night. On commencera à Paris au Trabendo. L’idée c’est de faire une pause de la Nollie avant nos quatre ans pour taffer une scénographie et pousser le concept. »
Paul : « Puis côté label, il y aura donc pas mal de sorties de single, beaucoup du côté de Me & George. Le premier EP de Swoush. On prévoit pas mal de merch ! De s’amuser avec la marque Halfpipe.
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Ce serait quoi, le rêve Halfpipe ?
Matthieu : « Personnellement, on a étudié à Toulouse. C’est vrai que de jouer au Bikini, ça nous a fait quelques choses. On a fait tellement de teufs là-bas. Il y a aussi le fait de jouer à Nuits Sonores et le Sucre. J’y suis allée tellement de fois ! Pour Halfpipe, on aimera faire une énorme soirée « Nollie » dans un super lieu – Le CentQuatre, Zénith – avec des guests… »
Paul : « … genre des artistes dont le nom commence par « S » et finit par « krillex » (rires) »
Matthieu : « … en plus, qui est très pote avec Pedro » (rires)
Paul : « Même juste, jouer avec Pedro, quand on était en train de mixer dans des salles des fêtes du Vercors, c’était impensable . »

Alors que du monde s’approche de la table pour dire bonjour, on les remercie et on file voir la fin du concert d’Ezra Collective. Pas d’adieu, mais plutôt des ‘à bientôt’ ! On a déjà noté de passer à leur soirée dans un lieu secret, le 21 juin pour la fête de la musique.