Skip to main content
© Parole de garçon
20 mars 2025

Acidusa (ex-Disco Makrout), acides et féministes | INTERVIEW

par Oumeyma Aouzal

Entre beats acides et engagements puissants, le duo Acidusa, anciennement connu sous le nom de Disco Makrout (dont on avait déjà parlé chez Tsugi), bouscule quelques codes de la musique électronique. Fièr·es de leurs racines algériennes et de leur identité queer, iels réinventent leur univers musical avec une nouvelle direction artistique et un nom plus affirmé, tourné vers un message féministe.

Transformant chaque DJ set en rituel, où la mythologie rencontre la trance et la bass music, Acidusa veut créer une expérience unique. À l’image de sa dernière sortie ‘Gisèle’, double-single hommage à la militante féministe Gisèle Halimi, le duo mêle sonorités électroniques et revendications politiques, tout en reversant les bénéfices à une association humanitaire soudanaise. Rencontre avec une paire qui fait du bruit, au sens propre comme au figuré.

 

Comment avez-vous choisi le nom ‘Acidusa’ et quelle est la symbolique derrière cette ‘Méduse sous acide’ ?

Nisrine : On souhaitait s’affranchir des stéréotypes associés à la musique arabe et à l’électro orientale, tout en conservant un lien avec notre identité maghrébine. Ce changement de nom a été longuement réfléchi.

La méduse nous est apparue comme une figure emblématique de la culture méditerranéenne, un univers dans lequel nous nous reconnaissons pleinement. Elle porte aussi une forte symbolique féministe, notamment dans la mythologie grecque. Quant au choix du nom Acidusa, il fait référence à une ‘méduse sous acide’, en écho aux sonorités acides qu’on intègre dans notre musique : des boucles hypnotiques, des influences trance et un usage marqué des percussions, inspiré à la fois des traditions africaines et méditerranéennes.

Ahlem : La méduse est une figure féministe puissante. Longtemps perçue comme un monstre dont le regard pétrifiait les hommes, elle a été réinterprétée par de nombreux écrits qui mettent en avant son rôle dans l’auto-préservation. On a trouvé intéressant de réhabiliter cette symbolique, d’autant plus qu’elle résonne avec notre identité queer.

Acidusa

© Parole de garçon

Vous avez toutes les deux vécu en Algérie jusqu’à vos 20 ans environ. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre style, qui fusionne sonorités nord-africaines et musiques électroniques ?

Ahlem : Ce qui influence le plus notre musique, c’est le gnawa, une musique de transe. Il ne faut pas oublier que la transe trouve en grande partie ses racines en Afrique. Ce que j’aime particulièrement dans le gnawa, c’est son aspect percussif et répétitif. Il incarne la rencontre entre les cultures arabo-musulmanes et les traditions subsahariennes. J’ai assisté à de nombreux festivals gnawa, en Algérie, au Maroc et cette énergie, ce rythme hypnotique, c’est quelque chose qu’on aime intégrer dans nos sets.

Nisrine : J’aime appeler ça ‘de la musique électronique qui a une âme’, et c’est une signature que l’on retrouve aussi dans nos productions actuelles.

 

« Il est parfois difficile de s’exprimer clairement avec des mots, la musique permet d’explorer et de transmettre des messages profonds » Acidusa

 

Quels messages souhaitez-vous transmettre à travers votre art ?
Acidusa

© Parole de garçon

Nisrine : Avant tout, des messages de justice. Que ce soit à travers le prisme du féminisme, des luttes des personnes racisées ou queer, ou encore des questions liées à l’intersectionnalité, ces thématiques sont essentielles pour nous. On a toujours veillé à les intégrer dans notre musique et dans les événements que nous avons organisés.

Ahlem : Il est parfois difficile de s’exprimer clairement avec des mots, la musique permet d’explorer et de transmettre des messages profonds.

Acidusa comme porte-parole pour déconstruire les stéréotypes liés aux identités maghrébines et queer ?

Ahlem : On veut montrer la complexité de nos identités. En France, il est très facile d’être enfermé dans des cases, alors que nous sommes plus que cela. Nous sommes des femmes, maghrébines, queer, vivant en France… Autant de dimensions qui s’entrecroisent et qui ne peuvent pas être réduites à une seule étiquette. On nous catégorise souvent comme ‘arabes’, alors que nous ne le sommes pas. Au-delà de cette confusion, cela souligne à quel point notre rapport à notre propre culture est parfois complexe. On veut aussi mettre en avant la richesse et la dimension païenne de nos héritages culturels, souvent méconnus ou invisibilisés.

Nisrine : En tant qu’Algériennes ayant quitté notre pays pour venir étudier en France, nous avons été confrontées à de nombreuses réflexions sur ce que signifie être maghrébin.e en France. C’est un sujet qui nous touche profondément et que nous avons souvent abordé avec d’autres artistes et ami.e.s. On aimerait d’ailleurs produire un morceau qui traite spécifiquement de cette thématique.

 

Vous êtes connues pour votre énergie sur scène, souvent grâce à l’ajout de percussions électroniques et de chant. Comment préparez-vous vos performances pour maintenir cette intensité ?

Nisrine : On aime toujours raconter une histoire à travers nos sets. Souvent, nous débutons avec un discours marquant, prononcé par une figure qui nous inspire et qui résonne avec nos valeurs. À partir de là, on construit progressivement notre performance, en faisant monter l’intensité pour embarquer le public dans un voyage.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Acidusa (@acidusa_)

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre émission Acidusa & Friends sur Radio Flouka ? Comment choisissez-vous vos invités et quels sont vos objectifs avec cette plateforme ?

Ahlem : L’émission est née de notre envie d’échanger avec d’autres artistes et d’apprendre à travers eux. Jouer en b2b nous permet d’explorer de nouvelles approches et d’enrichir notre propre style. On voulait aussi dépasser le ‘simple’ mix en ajoutant un format talk court (moins de 10 minutes) pour offrir du contexte aux artistes et créer un espace d’expression. L’idée, c’est de grandir ensemble et de faire évoluer la scène en mettant en avant des talents variés.

Nisrine : Nous invitons des artistes dont les projets et valeurs nous parlent, comme Illa du collectif Sœurs Malsaines, qui soutient les femmes, les personnes queer et les migrants dans l’apprentissage du DJing  L’émission est aussi une manière de casser les codes : on veut montrer qu’il est possible de mixer avec des artistes issus d’univers très différents et que ces rencontres inattendues sont souvent les plus enrichissantes.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Acidusa (@acidusa_)

Vous avez également un format vidéo sur votre Instagram intitulé ‘Bandcamp Haul’, où vous présentez des artistes émergents. Pouvez-vous nous en parler ?

Ahlem : ‘Supporting your favorite artist is what ? Fondamental’ Pour moi, la musique est un art qui doit se partager. Si on ne met pas en avant d’autres artistes, on reste dans une démarche individualiste. Ce qui va à l’opposé de notre vision. L’idée derrière ‘Bandcamp Haul’ est donc de contribuer, à notre échelle, au rayonnement des artistes que nous apprécions.

Le concept m’est venu en voyant des vidéos ‘Shein Haul’ défiler sur les réseaux. Je me suis dit que ce serait drôle d’adapter ce format à la musique.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Acidusa (@acidusa_)

Votre récent double-single ‘Gisèle’ rend hommage à Gisèle Halimi. Qu’est-ce qui vous a inspirées dans sa vie et comment cela se reflète-t-il dans votre musique ?

Nisrine : Gisèle Halimi a joué un rôle clé dans la légalisation de l’avortement en France et a défendu des militantes algériennes sous la colonisation, évitant une condamnation. Son parcours nous touche profondément. En tant que femme tunisienne et juive, elle incarne une richesse culturelle qu’on voulait mettre en avant, surtout aujourd’hui, où il est essentiel de rappeler l’apport des figures arabo-maghrébines aux luttes féministes et sociales.

Ahlem : On est parties d’un extrait de ses interviews, où elle raconte le moment où elle a pris conscience de sa condition de femme et des injustices qu’elle subissait. Un parcours qui fait écho au nôtre : une femme maghrébine venue en France pour étudier, confrontée à une double assignation.

Musicalement, on voulait une approche sombre et expérimentale, avec un sample de son interview et une derbouka en dialogue avec ses mots. Mais il manquait quelque chose, alors on a créé une version club plus dynamique, passant de 100 à 142 BPM, avec des breaks jungle.

Vous avez annoncé que les bénéfices de ce double-single générés sur Bandcamp seraient reversés à l’association @khartoum_aid_kitchen. Pourquoi cette cause ?

Nesrine : Elle nous tient énormément à cœur. Quand le single est sorti, on a voulu lui donner une dimension plus significative. Au départ on s’est dit que les gens allaient écouter le morceau et que ça s’arrêterait là. En y réfléchissant, on a décidé de reverser les revenus à une association qui soutient les femmes. À un moment donné, on s’est rendu compte qu’en France, il y a énormément d’associations.

Mais quel pays en ce moment, manque d’aide internationale ? Alors on a fait des recherches et découvert qu’au Soudan, il y a une pénurie d’assistance d’organismes internationaux. Grâce à des publications sur Instagram, on a trouvé Khartoum Aid Kitchen, une organisation locale active à Khartoum et dans plusieurs régions du Soudan, qui vient en aide aux femmes et aux enfants, leur fournissant nourriture, soins de première nécessité et vêtements.

 

Quels sont vos projets pour l’année à venir ?

Ahlem : L’objectif est de sortir un EP d’ici la fin de l’année.

Nesrine : Toujours autour des questions d’identité, de néocolonialisme, de révolution et existence des peuples. Mais il y aura aussi des sons plus chill pour célébrer l’été (rires)

 

À lire sur également sur Tsugi : Flore : Un set exclusif pour fêter son départ de Facebook

 

Visited 243 times, 1 visit(s) today