Theodora, DRAGA, Verraco, Obongjayar… Les sorties de la semaine

par | 30 05 2025 | chronique

Pont ou pas pont, comment rater les sorties du vendredi ? Impossible surtout lorsqu’on détaille les noms au casting cette semaine : DRAGA, Verraco, Obongjayar, Yeule, Damso, Hologramme, Theodora, Degeyter, Phelto, ENERGIC… On prend notre journée pour écouter ça ensemble ?

  • DRAGA – Ô Guérillères

Pas de messe basse. DRAGA entre en scène comme on entre en lutte : déterminé et impossible à ignorer. Le manifeste ? Ô Guérillères, un album formé autour des voix de Lucie Antunes, Anna Mouglalis, P.R2B, Théodora Delilez et Narumi Herisson. DRAGA s’inscrit dans l’héritage des femmes qui hurlent, créent, refusent : c’est le cri de Monique Wittig qui fait résonner ce projet. En 1969, elle formulait déjà dans Les Guérillères : une langue neuve, affranchie, tranchante comme une serpe, appelant à renverser l’ordre établi, à sanctuariser le sexe féminin, à réécrire l’histoire depuis la marge.

DRAGA reprend ce flambeau avec fureur et grâce. Sur les cendres froides du patriarcat, le groupe construit un espace sonore anarchique et vivant. Post-punk, kraut, électro, chamanisme bruitiste : l’album ne se fixe à rien, sinon à son urgence politique.

  • Verraco – Basic Maneuvers 

Verraco, figure centrale de la scène électronique latino-américaine et cofondateur du label TraTraTrax, franchit un cap stratégique avec Basic Maneuvers, son premier EP pour le géant britannique XL Recordings. Après avoir secoué les clubs en 2024 avec Breathe… Godspeed sur Timedance, il confirme ici qu’il n’est plus seulement une curiosité venue de Medellín, mais une voix majeure du club global.

Basic Maneuvers, annoncé comme un manifeste sonore, tient sa promesse. Le morceau-titre impose une techno tendue, brillante de contrôle. « Total » ralentit sans perdre en tension, et « Sobe Sobe », en collaboration avec MC Yallah de Nyege Nyege, synthétise le projet : faire dialoguer Kampala et Bogotá sur des bases de la bass. Une sortie courte mais efficace, qui installe Verraco là où il veut être : au centre du jeu.

  • Obongjayar – Paradise Now

Obongjayar n’est pas un petit nouveau sur les pages de Tsugi. Révélé en 2016, un pied au Nigeria, l’autre à Londres, Obongjayar a le don de séduire par le simple timbre de sa voix : douce et aiguë, rocailleuse et grave. Nouvelle preuve avec son dernier album, Paradise Now.

Sa voix, tantôt caméléon, tantôt uppercut, court au long de ce deuxième album puissant et lumineux. En 15 titres, le paradis prend la forme d’un grand huit. Parfois intense parfois calme, jamais triste. Si on le connaît grâce à des collaborations avec de beaux noms (Fred Again.., Jeshi), il avait d’abord été repéré sur « Point and Kill » de Little Simz. Cette fois-ci c’est la rappeuse britannique qui s’invite en seul featuring sur Paradise Now avec « Talk Olympics », un morceau qui risque de faire parler de lui. Promis.

  • Yeule – Evangelic Girl Is a Gun

Yeule, alias Nat Ćmiel, est un·e musicien·ne, peintre et performeur·se reconnu·e pour son mélange unique de glitch-pop, alt-rock et trip-hop. Après avoir marqué les esprits avec Glitch Princess (2022) puis softscars (2023), Yeule revient avec Evangelic Girl is a Gun, fruit d’une nouvelle phase d’expérimentation plus lourde et audacieuse.

Conçu en pleine pandémie, ce disque marque un virage vers des sonorités plus rugueuses et texturées, sans perdre la signature électronique qui fait la force de Nat Ćmiel. Produit avec la collaboration d’A. G. Cook, Clams Casino et Mura Masa, il offre une production dense et immersive. L’album explore un univers cyberpunk gothique, abordant des thèmes d’angoisse existentielle et d’ego déchiré. Evangelic Girl is a Gun se distingue par sa capacité à allier étrangeté et accessibilité, proposant un rock électronique novateur et vibrant. Chapeau bas.

  • Damso – BĒYĀH

Si le teasing est un secret bien gardé dans l’industrie musicale, beaucoup jalousent la recette du rappeur belge Damso. Le mystère autour de la sortie de BĒYĀH aura électrisé la scène rap francophone. Après avoir annoncé : « Vous n’entendrez plus parler de moi avant le 30 mai 2025, date à laquelle je sortirai BĒYĀH, qui sera mon tout dernier album », Damso avait menti en sortant « J’ai menti » en novembre dernier.

Damso reste un homme de parole. Avec BĒYĀH, il offre en quinze morceaux toute l’étendue de sa palette musicale. Synthèse de l’artiste ou testament, on vous laissera trancher. Parce qu’il y a mille autres choses à dire sur ce disque. Il clashe avec classe Gims sur « JCVDEMS », il s’entoure de Sarah Say sur le très réussi « Pa Pa Paw », il utilise l’IA en la mentionnant sur « Magic. » Sur ce (peut-être ?) ultime disque, il ne fait pas de redite ; il propose une introspection lucide, tantôt mélancolique, tantôt ensoleillée, pour se réinventer sans oublier ses fondamentaux. DEMSvie.

  • Hologramme – Surfaces

Sous le nom d’Hologramme, Clément Leduc casse les codes de l’électronique atmosphérique en injectant une vraie tension dans ses sons. Dans Surfaces il signe un EP dense, taillé pour les clubs autant que pour les casques, né d’un exil parisien plus brutal que rêvé.

« Trans Atlantique » claque avec un son UK garage sec et une ligne de synthé nerveuse, qui réveillent l’anxiété. « Anaïs » surprend : un track enregistré d’un jet, porté par une basse moelleuse qui contraste avec une topline fragile. On sent l’influence de la scène UK, mais digérée à la montréalaise, avec une production précise, rapide, jamais lisse. Les tempos montent, les textures s’épaississent, et Hologramme trouve enfin son point d’équilibre entre ambient vaporeux et énergie club. Un virage serré.

  • Theodora – MEGA BBL

Theodora disait en 2023 que « Le Paradis se trouve dans le 93 ». En 2025, sa Seine-Saint-Denis s’invite en tête des charts. Si BAD BOY LOVESTORY est rapidement devenu un incontournable, MEGA BBL sort pour s’imposer dans les tracklists des soirées de cet été. Sur cette version deluxe, la Boss Lady convoque une belle liste de collab : JUL, Luigi, Bb Trickz, Juliette Armanet, Thisizlondon… Consécration pour celle qu’on annonce, avec « PAY! », comme détentrice du fameux tube de l’été. Avec MEGA BBL, l’autoproclamée ‘Boss Lady’ Theodora s’assoit sur son trône.

Dans ce disque qui sent déjà la fureur et la sueur, un son se détache : Theodora dévoile au grand public son réarrangement avec Chilly Gonzales de « Ils me rient tous au nez », ue version piano-voix qui était pour le moment, restée dans la confidentialité de l’Hyperweekend Festival.

  • Degeyter – Bonjour Violence

Degeyter, c’est pas un projet : c’est un refus. Refus du rock de cosplay, refus du français qui minaude, du monde qui pue la gestion de crise permanente. Bonjour Violence n’est pas un EP : c’est un pied de biche qui veut fracasser les codes, avec les codes eux-mêmes. Les basses cognent, les claviers sortent d’un jeu de vidéo, les refrains ne veulent pas être aimables mais sont aussi loin d’être méchants.

Entre techno-wave abrasive et chanson à uppercut, Degeyter se tente à l’élégance d’un Bowie sans tout à fait réussir le revival. Ce n’est pas du réchauffé, c’est une attaque. Un coup pas si violent en version digitale, mais qui gagne en brutalité sur le live.

  • Phelto – ??!

Non, pas de fautes de frappe ici, mais le nouvel EP de Phelto, jeune chanteuse pop/rock remarquée par le groupe Thérapie Taxi. Si ??! n’enchantera sans doute pas les animateur·ices radio – comment le prononcer ? –, il saura à coup sûr conquérir les cœurs. La raison ? Phelto grandit et ses traits s’affinent.

Dans ??! elle conserve son authenticité tout en intensifiant les couleurs de sa palette sonore. Grunge, hyperpop, post-rap… Elle se projette déjà dans le futur. Un ‘demain’ où elle a toute sa place. Il n’y a qu’à écouter « Je Pense Après ».

  • ENERGIC – VA RUSH001

OMAKS, figure hardstyle de Lyon, balance la sauce avec RUSH001 : première compile de son label ENERGIC. Et ça tape fort. Après avoir secoué les caves avec Morning Rave, il inscrit ici l’identité sonore de son nouvel label : 4 tracks, 0 compromis.

Ça démarre avec une claque phonk indus. Ça bifurque brutalement avec des nappes trance euphoriques, avant d’exploser en Frenchcore chirurgical. Mention spéciale à ce drop beatbox improbable qui surgit sans prévenir sur « Boxing The Beat », au milieu d’un tunnel percussif. ENERGIC veut casser les codes, et avec RUSH001, c’est réussi : brutal, précis, et surtout, sans pitié.