Après un premier album où elle tirait un trait sur ses monstres intérieurs, Kalika — Mia de son vrai prénom —, revient avec J’AI PLEURÉ, un EP sombre et électronique qui marque une transition nécessaire dans sa vie. C’est la tristesse qui précède la colère.

TW : violences sexistes et sexuelles

Exit la pop trash, le second degré et les maquillages extravagants. Kalika revendique désormais une « pop indé plus deep et plus dark », selon ses propres mots. Celle qui a choisi son deuxième prénom comme nom de scène — un hommage à la fois à la déesse hindoue Kali et à une sainte gitane — plonge dans une phase sombre de son histoire personnelle, façonnée par un traumatisme, une rupture et une perte d’identité. Rencontre.

Avec ton premier album, Adieu les monstres, tu disais au revoir à tes démons. Pourtant, cet EP est encore plus sombre…

Cet EP, c’est une transition. Mais en l’écrivant, je le voyais comme une fin.

J’étais dans une période très sombre de ma vie, où plein de choses changeaient. J’étais en rupture amoureuse et je ne savais plus qui j’étais. Quand tu es restée longtemps avec quelqu’un et que tu te sépares, tout est bouleversé. Je n’avais plus de maison, j’ai dû squatter chez des gens. J’étais très perdue, ça m’a fait retomber dans mes addictions.

Et c’est dans cette période de deuil — deuil amoureux, deuil de soi — que j’ai écrit ces morceaux. J’ai commencé au Japon, pendant un voyage seule en Asie que j’avais envie de faire depuis longtemps. Ce voyage m’a aidée à me rendre compte de plein de choses, et notamment des raisons pour lesquelles j’avais eu besoin de tout quitter d’un coup. Mais finalement c’était bien une période de transition, maintenant ça va mieux.

Quel est le fil rouge de cet EP, comment le décrirais-tu ?

C’est un EP très solitaire et intérieur. Il parle beaucoup de deuil et de la notion de dissociation. Je souffre du trouble dissociatif de l’identité depuis que je suis adolescente, parce que je suis borderline. Ces troubles peuvent être accentués par la prise de drogue, et au moment où j’écrivais, j’étais retombée dans mes addictions.

Même si je me suis isolée pour écrire et composer l’EP,  je l’ai fait en espérant que, dans mon processus de création,  j’allais finir par recréer du lien, recréer du collectif.

Kalika @Théo-Paul Dufour
Kalika @Théo-Paul DufourKalika @Théo-Paul Dufour
Dans « JE NE SAIS PLUS QUOI DIRE », le premier single de l’EP, tu parles justement de dissociation.

Cette chanson est née d’une accumulation de plusieurs moments qui m’ont marquée et m’ont mise mal à l’aise. J’ai fait une réunion avec les gens de mon label pour leur faire écouter quelques sons, et ils m’ont un peu pris la tête en me disant qu’il fallait que je parle plus de moi dans ma musique, qu’on ne savait pas qui j’étais. Je me suis sentie mal sur le moment parce que je n’avais pas envie d’écrire sur moi. Je trouvais que c’était une période bizarre — et ça l’est toujours — pour faire des petites chansons qui parlent de ma vie, vu tout ce qu’il se passe dans le monde. J’avais envie de dire des choses à travers l’art, d’être politisée.

Je suis donc partie dans le Sud chez ma mère. J’ai essayé de faire ce qu’ils attendaient de moi, mais je ne savais pas quoi dire. Je n’avais pas envie d’écrire une énième chanson d’amour mignonne. Finalement, j’ai écrit « JE NE SAIS PLUS QUOI DIRE » en une fois, sans réfléchir. La chanson parle du fait que ce n’est pas parce qu’on ne sait plus quoi dire qu’il ne faut rien dire. Il faut continuer de se parler parce qu’on est tous connectés par ce truc qui s’appelle l’humanité.  C’est un peu plus dark que ce que je faisais avant, c’est politique. Ça reste mon point de vue, mais je ne suis pas le main character dedans.



L’EP porte le nom de ta chanson « J’AI PLEURÉ», qui parle de viol. Pourquoi avoir fait ce choix ?

« J’AI PLEURÉ » est la chanson la plus importante pour moi dans l’EP. J’aurais aimé que ce soit le focus track. J’ai cette chanson depuis longtemps en moi. Là, je sentais que c’était le moment de la sortir parce que je me suis rendu compte que ma rupture était liée au viol que m’a fait subir un ami que j’avais en commun avec mon ex. Le deuil de cette relation et le deuil de ce viol sont liés, parce que cette agression a précipité la fin de la relation.« J’AI PLEURÉ » résume donc toute cette période sombre de ma vie. C’est le point de départ de tous les problèmes que j’ai eus par la suite.

Il y a beaucoup de chansons qui parlent de viol mais je voulais le faire à ma façon, en disant que le traumatisme passe par plein de petites choses de merde, toutes les fois où tu pleures pour des trucs pourris alors qu’en réalité tu pleures pour ce truc-là dont tu n’oses pas parler. J’en suis particulièrement fière, parce que ce n’est pas évident de trouver les mots pour parler de ce sujet sans être trop imagé ou trop dans le pathos.

C’est un peu le cœur de l’EP finalement, ce qui a donné naissance au reste…

Exactement.  J’étais dans un état de dissociation extrême, un état de dépersonnalisation tel que je n’entendais plus mes pensées, je ne me reconnaissais plus dans le miroir. La seule chose qui me restait, c’était d’écrire des chansons. C’est à ce moment-là que Kalika est née.

Que ce soit dans « JE NE SAIS PLUS QUOI DIRE » ou dans « J’AI PLEURÉ », tu parles de sujets forts, te considères-tu comme une artiste engagée ?

Je pense que je le suis depuis mes débuts, de manière plus ou moins consciente. On est dans une ère où la parole des artistes est extrêmement lissée, maîtrisée… Alors qu’à la base, les artistes expriment leurs pensées, leurs points de vue, et font bouger les choses petit à petit. Aujourd’hui, dire les choses, c’est déjà être engagé. 

Le problème, c’est que la période actuelle fait peur aux artistes. Rien ne va dans la culture, il n’y a plus de subventions, il n’y a plus de budget… C’est dur de continuer de s’exprimer politiquement dans ce contexte. Donc oui,  je me considère engagée parce que j’ai toujours dit ce que je pensais et que je continuerai de le dire quoi qu’il arrive. C’est la seule chose qui m’intéresse : être sincère, montrer ce qu’il se passe dans ma tête, montrer comment je vois le monde.

Kalika @Théo-Paul Dufour
Kalika @Théo-Paul DufourKalika @Théo-Paul Dufour
Cet EP est plus électronique que tes disques précédents. Est-ce volontaire ? 

J’avais envie d’être plus radicale dans mes choix, d’éviter le consensus sonore. Je l’ai toujours été dans ce que je dis, mais j’ai souvent été influencée dans mes productions par les gens autour de moi qui me disaient que je pouvais faire peur en étant trop radicale.

Le glissement s’est fait assez naturellement, notamment en travaillant avec d’autres personnes. Je travaille avec Demon V, qui était dans le groupe Las Aves, et il a un projet solo très techno, très cold wave, beaucoup moins pop que moi. Il y a quelque chose de radical dans ses sons que j’adore. Je trouve que c’est un peu ce que j’ai toujours proposé sur scène, mais sans aller jusqu’au bout, alors que ça fait partie de moi. Là, j’avais la volonté d’assumer et de faire quelque chose de plus indé, qui me ressemble encore plus.

Je pense qu’il va donc y avoir une petite phase de transition pour que les gens comprennent ces sonorités. C’est aussi pour ça que l’EP est nécessaire avant l’album !

Tes productions donnent justement souvent envie de danser, ça contraste avec tes paroles sombres. Est-ce un choix conscient de ta part ?

Je pense que c’est vraiment lié à ma personnalité. Comme j’ai un trouble borderline, j’oscille tout le temps entre un bonheur très intense, et le drame. C’est toujours extrême. J’aime en rire, c’est pour ça qu’il y a souvent du second degré dans mes paroles. J’essaye d’en faire une force. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. C’est ce que je trouve intéressant dans l’art en général, et que j’essaye de retranscrire en musique. C’est aussi un moyen de garder un peu de légèreté quand je dis quelque chose de lourd.

Je suis une personne calme dans la vie de tous les jours, mais j’ai un côté très torturé, violent, et j’ai besoin de l’exprimer. Je trouve que c’est important d’avoir des représentations féminines violentes. Dans la pop, on a trop l’image de la meuf mimi, toute douce, qui parle d’amour. J’ai envie d’aller à l’encontre de ça et de montrer qu’on peut dire des choses aussi violentes que n’importe quel mec. Je ne veux pas être tout le temps dans le contrôle.

Kalika @ Théo-Paul Dufour
Kalika @ Théo-Paul DufourKalika @ Théo-Paul Dufour
Il y a aussi moins d’humour dans ce disque.

Il y en a dans « MA PSY » ! Mais c’est vrai que cet EP est davantage premier degré. J’avais besoin de montrer cette facette de moi et d’avoir cette césure pour aller ailleurs par la suite, sinon j’allais rester dans quelque chose de sombre pour toujours. L’album sera beaucoup plus enclin à la rage. Après la tristesse, vient la colère.

Est-ce que certains artistes t’ont inspirée pour la conception de cet EP ?

Quand je compose, que j’ai une période créative, j’essaie justement de ne pas écouter trop de trucs, pour ne pas être trop influencée. J’ai envie que ça vienne vraiment d’une inspiration intérieure et non pas extérieure. J’ai envie de créer mon propre son, un mix de tout ce que j’ai écouté depuis que je suis petite : un mélange de chanson française un peu bizarre des années 1980 — Jeanne Mas par exemple —, et puis Mylène Farmer, Elsa, Crystal Castles

Visuellement, j’aimerais aussi faire des choses un peu plus « pop star », un peu style Lady Gaga. Mon identité visuelle a changé. Je n’aime pas faire deux fois la même chose. Pour moi, ce n’est pas parce qu’on change qu’on n’est plus la même personne, au contraire : ça veut juste dire qu’on évolue. J’ai envie de surprendre, de me renouveler. Là, je suis un peu dans mon era « princesse désenchantée », ou « pin-up trash ».

On peut s’attendre à quoi pour l’Olympia ?

Je n’ai pas encore fait la résidence, mais j’ai plein d’idées ! Il y aura des surprises. Ce sera un show plus minimaliste, mais pas juste un concert, j’ai envie que ce soit une expérience. J’imagine souvent ce que je fais — que ce soit des albums ou des concerts — comme des manèges de fête foraine. Là, je veux que ce soit un peu comme entrer dans un manège sans trop savoir quelle forme il a, ni ce qu’il va se passer. Je veux que ce soit très deep, que ce ne soit pas « juste » la teuf.

Kalika © Théo-Paul Dufour
Kalika © Théo-Paul DufourKalika © Théo-Paul Dufour
Quels sont tes projets pour la suite ?

J’aimerais expérimenter et aller voir ce qu’il se passe sur la scène internationale. J’aimerais aller à Londres quelques temps, collaborer avec des artistes internationaux, organiser une tournée mondiale en Asie, en Angleterre, et au Canada…

La pop française existante est cool, mais elle a un son très polissé et moi j’ai envie de m’en émanciper et de faire autre chose. J’aimerais n’être dans aucune case, et ça passe par le fait d’être radicale dans mes propositions.J’ai envie de continuer à chanter en français parce que je veux que ma musique reste accessible, mais je ne veux pas me forcer à faire quelque chose qui plaise aux Français pour autant. J’aimerais aussi avoir l’opportunité d’aller chercher des gens ailleurs. Je dis ce que j’ai envie de dire, et c’est aux gens de voir s’ils veulent monter dans le train ou rester sur le quai.

L’EP est à écouter juste là, et pour prendre des places pour l’Olympia, ça se passe ici !