À 38 ans, Myd ne danse peut-être plus les fesses à l’air comme à l’époque de All Inclusive (2017), mais ça ne l’empêche pas de continuer à aimer la house avec passion. Et si son nouveau disque, Mydnight, était tout simplement l’album d’un producteur incapable de tourner le dos à la fête ? Rencontre.

Par Maxime Delcourt

« Les cool kids ne meurent jamais. » À lui seul, Quentin Lepoutre démontre la pertinence de cette affirmation depuis le début des années 2010, ce moment où Club Cheval, son ancien groupe, commence à gagner en visibilité. Depuis, l’homme que l’on surnomme Myd s’est lancé dans un tas de projets farfelus (une campagne de publicité pour Pornhub, notamment), a produit pour différents rappeurs (SCH, Lacrim, Zola), a vu certains de ses singles devenir avec le temps des tubes résonnant jusqu’aux oreilles du grand public (« The Sun »), et s’est présenté sur la scène des Jeux paralympiques de Paris avec une cape aux couleurs du drapeau français.

Tout cela, Myd le doit bien évidemment à un savoir-faire mélodique indéniable, à des collaborateurs de prestige — qui ne sifflote pas encore l’air de « Moving Men », en duo avec Mac DeMarco ? — et à une directrice artistique (Alice Moitié) dont l’esprit déborde constamment d’idées neuves. En témoigne l’esthétique de Mydnight, très club, très jaune, jusqu’au t-shirt arboré par Myd le jour de cette interview. Un t-shirt des plus ordinaires, mais qui raconte l’état d’esprit de l’artiste, détendu, solaire et plus que jamais en phase avec l’univers musical et visuel qu’il défend.

Quatre ans séparent Born A Loser de Mydnight. Est-ce dû à tes nombreux concerts et DJ-sets, ou à la difficulté de définir une direction claire au moment de te lancer dans l’enregistrement de ce deuxième album ?

Pour Mydnight, il m’a fallu ralentir, trouver du temps à passer en studio, pour me connecter à l’inspiration et à ce que j’avais envie de raconter. Le fantasme du DJ qui produit un tube dans l’avion, c’est bon dans les pubs pour ordinateurs. Moi, j’ai besoin de me concentrer, de pouvoir revenir jour après jour sur un même morceau ou une simple idée. C’est une course de fond, qui nécessite pas mal d’énergie. C’est pourquoi j’ai expliqué à mon équipe l’année dernière que j’allais limiter les concerts à une date par semaine. J’avais très envie de faire de la musique et j’étais encore dans une vibe club, ce qui a influencé la couleur de ces nouveaux morceaux.

Entre son titre en forme de jeu de mots et un morceau comme « 9am », on se dit qu’il y a forcément un délire autour du temps dans ce deuxième album. C’est le cas ?

S’il y a un concept dans ce disque, il tourne surtout autour de la nuit. Tout simplement parce que j’adore la fête et que c’est sans doute pour ça que je suis devenu DJ. Dès que j’arrive dans un club ou un festival, que je vois des gens danser ou que j’entends des sons joués très fort, c’est comme un boost d’énergie. C’est donc très important pour moi de raconter depuis mon point de vue ce qu’est une nuit en club.

De là à dire que Mydnight a été pensé comme un DJ-set ? Je n’irais pas jusque-là. L’idée est plutôt de compiler toutes les émotions que tu peux ressentir pendant une nuit de fête, avec ses hauts, ses bas, ses moments de concentration ou non, ses instants où tu es happé par la musique – ou pas. Mydnight, c’est le journal d’une nuit, une réaction à Born A Loser dont les morceaux ne parvenaient pas toujours à faire danser, même une fois joués sur une grosse sono.

Au milieu de l’album, « 9am » est très doux et sonne presque mélancolique. Il y a quelque chose de la pop californienne dans son énergie. Était-ce dans l’idée d’évoquer le spleen qui ressurgit une fois la fête finie ?

Oui, clairement ! Ça aurait même pu être le morceau idéal pour conclure, mais je trouvais que ça ne lui faisait pas honneur. Le placer en plein milieu de Mydnight prouve aussi qu’il peut y avoir des moments plus doux au cœur d’une nuit en club, qui t’éloignent complètement du quotidien. Mydnight a beau être très dansant, je ne voulais pas m’empêcher de composer un ou deux morceaux plus lents. N’envisager la nuit que comme une débauche d’énergie aurait été une erreur.

La vibe club du disque se traduit par une forte présence du jaune dans les visuels de l’album, une couleur qui doit autant à l’iconographie de l’Haçienda et d’Ibiza, où tu as passé tes trois derniers étés, qu’à la pochette de Super Discount d’Étienne de Crécy…

Avec Alice Moitié, qui a assuré le rôle de directrice artistique, on a voulu aller au plus simple, au plus naturaliste et au plus utile. On voulait être le moins conceptuels possible. Alors, puisque l’album est club, on a fait des photos en club, où l’on me voit notamment mixer. Sur scène, c’est pareil : il y a mes machines, un opérateur vidéo, des caméras et moi.

L’idée, c’est de mettre en valeur la musique, d’être au plus près de la fête. Quant à l’utilisation du jaune, c’est parti d’un constat tout simple : Alice trouve que ça me va bien. Mais on s’est également dit que l’utilisation d’une seule couleur simplifierait les choses. Ce que j’aime, c’est faire de la musique, et je préfère éviter de passer trop de temps à choisir la couleur des flyers ou de mes tenues de scène…

La forme est simple, mais on sent tout de même qu’elle découle d’une véritable réflexion. Tu procèdes de la même façon en studio ou tu préfères laisser de la place à l’accident, à l’imprévu ?

Toute ma carrière est basée sur l’accident. D’ailleurs, mon dossier d’entrée à La Fémis (l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, ndlr) parlait déjà de l’incident et de la manière dont il peut être utilisé pour créer des choses souvent plus intéressantes et novatrices que ce qui a été minutieusement calculé. Je sais qu’il y a un mythe autour des producteurs : certains auraient trouvé la formule ultime pour enchaîner les tubes.

C’est une connerie ! Selon moi, il y a moins de chances d’atteindre le succès populaire en reproduisant ce qui a déjà marché qu’en cherchant à innover et en acceptant les accidents qui arrivent en studio. Bien sûr, on prend le risque d’être trop en avance sur les tendances ou les goûts du public, mais il faut accepter cette position et laisser le temps à un morceau de toucher les gens. « The Sun », par exemple, a mis quelques années avant de rencontrer le public et d’être considéré comme un véritable tube de house.

Sur Ed Banger, tu fais partie des rares artistes ayant connu un réel succès populaire, au même titre que Justice avec « D.A.N.C.E. » et Breakbot avec « Baby I’m Yours ». Est-ce que ça rajoute de la pression en studio ?

Quand tu as la chance d’avoir un hit, l’erreur est d’essayer d’en reproduire la recette. Selon moi, c’est impossible. On en revient à cette notion d’accident. Si tu tombes deux fois au même endroit, c’est vraiment que tu n’as pas de bol… Il faut aller chercher l’inspiration ailleurs. Dans la foulée de « The Sun », par exemple, je suis parti dans une autre direction. Il y a eu un duo avec Cola Boyy (« Muchas », en 2018), un EP club (Superdiscoteca, en 2019), la publication de « Together We Stand » l’année suivante, etc…

Ce qu’il faut retenir d’un tube, c’est surtout l’autoroute qu’il te permet de prendre. Du jour au lendemain, des portes s’ouvrent, des opportunités se présentent, cela doit être l’occasion de créer des choses différentes plutôt que de retourner éternellement au même endroit. De toute manière, je suis trop curieux pour rester bloqué dans le même son.

Sur Mydnight, tu as gardé ce côté organique déjà perceptible à l’écoute de Born A Loser. Il y a des guitares, des chorus, l’utilisation de magnétophones… Tu y vois une manière de lutter contre la perfection supposée des machines ?

Ça doit être l’une des raisons, oui. Mais c’est surtout parce que ça me plaît. J’aime le côté imprévisible des « tape recorders ». Une simple griffure sur la bande peut modifier un groove. Encore une fois, c’est hyper intéressant de ne pas tout contrôler. Ça apporte de la vie et une forme d’inspiration extérieure, ce qui est essentiel lorsque l’on compose tout en solo. Et puis, il faut le dire, l’utilisation de tels instruments peut aussi adoucir certains drums ou synthés que j’adore utiliser, comme le Prophet, qui ont des sonorités très froides et agressives. Je peux alors ajouter de la nuance sans perdre le côté futuriste de toutes ces textures. Ça crée des ponts intéressants entre les genres et les époques. Et comme j’adore les mélanges…

Myd © Alice Moitié
Myd © Alice Moitié
Tu évoques parfois les Chemical Brothers, Prodigy, Underworld et Fatboy Slim. Est-ce qu’il y a des disques entendus ces dernières années qui t’ont encouragé à prendre ta direction musicale actuelle ?

Quand je produis, l’idée n’est pas de m’approprier le son d’un artiste et d’en proposer une version soi-disant moderne. Ce n’est pas non plus de me cantonner pour mes DJ-sets à des artistes qui créent une musique proche de la mienne. L’Australien 1tbsp, par exemple, compose des morceaux très rapides, très clean, avec des influences latines affirmées. J’adore !

De même que j’aime énormément la manière dont un Italien comme camoufly s’approprie le UK garage. Dans les deux cas, ça ne colle pas nécessairement avec mon univers, mais je prends beaucoup de plaisir à jouer leurs morceaux dans mes sets. Pour le reste, je ne me focalise pas sur ce que font les autres. D’ailleurs, je n’écoute pas de musique lorsque je suis en studio. Pour ne pas être influencé, et pour rester au plus près de ce que j’ai en tête.

Pendant l’enregistrement, il paraît que Thomas Bangalter t’a conseillé de privilégier l’écriture automatique. Ça a été un élément déclencheur ?

C’estvrai que c’est ultra libérateur. Une mélodie te vient en tête, tu imagines un beat, tu sors tout ce à quoi tu penses, sans retenue et sans te torturer le crâne sur ta faculté ou non à aller vers tel ou tel son. J’ai beau avoir toujours été excité par les musiques plutôt solaires, je ne serais peut-être jamais allé vers le dub jamaïcain sur « All That Glitters Is Not Gold » sans cette astuce… D’où, aussi, l’intérêt d’avoir un studio qui te ressemble à 100 %, de sorte que tu puisses très vite exploiter une idée, sans éplucher durant des heures les modes d’emploi de tes instruments.

Dans un tel disque, est-ce facile de trouver un équilibre face à la diversité des propositions ? On peut vite donner le sentiment de se disperser, non ?

Ce n’est jamais simple de faire un disque, tout est si personnel, si abstrait… Pour Mydnight, le défi était parfois de parvenir à faire entrer des mélodies dans des morceaux orientés club, comme sur « Our Home » et « Song For You ». Dès la première écoute, j’ai adoré ce titre, ce qu’il racontait, ce côté à la fois romantique et dansant que je trouve hyper efficace. Mais c’est une cuisine interne, un feeling qui est difficile à expliquer. Pour moi, ça doit rejoindre ce que ressentent ces gens qui écrivent des discours ou des bouquins. À la fin, tu fais le bilan de ce que tu voulais raconter et tu ajustes en fonction.

Quel morceau t’a demandé le plus de retouches dans la dernière ligne droite ?

« Our Home », je pense. C’est de loin le morceau le plus hybride, à mi-chemin entre ce que je pouvais faire par le passé, avec ces chœurs et cette mélodie immédiate, et les sonorités club que je privilégie désormais. La première version était beaucoup plus pop. Ça fonctionnait bien, mais le problème était qu’elle n’aurait jamais pu être jouée en club. Il m’a donc fallu la retravailler, dans une veine plus proche de « The Wizard » et « Song For You », deux morceaux nés au même moment. Ma chance a été de continuer à tourner, et donc de pouvoir tester mes tracks. La vérité du club, c’est une très bonne manière d’y voir plus clair sur les modifications à apporter à une mélodie.

À propos de « Our Home » et « The Wizard », qu’est-ce qui t’a incité à placer ces deux morceaux en introduction et en conclusion de l’album ?

J’ai la chance de pouvoir compter sur Pedro Winter, qui est toujours de très bon conseil. À l’époque de Born A Loser, il avait été déterminant et ça me tenait à cœur de le solliciter à nouveau. Et il a tout chamboulé. (rires) L’interlude « Yeah, It’s Mydnight, Let The Music Roll » était censé être l’intro et l’ordre des morceaux était complètement différent. D’après lui, il racontait mal l’histoire du disque. Il fallait que « Our Home » soit le titre introductif. Parce qu’il s’appuie sur un refrain assez efficace. Parce qu’il fait le lien avec l’album précédent. Et parce qu’il invite en quelque sorte le public à entrer dans le disque. Il a un côté « grand-messe », quelque chose qui donne l’impression de prendre l’auditeur par la main pour l’emmener dans un tout nouvel univers. J’aime cette idée.

Et pour « The Wizard » ?

C’était important pour moi de finir par une montée d’énergie. À l’origine, ce titre n’était qu’une blague : j’imaginais à quoi pourrait ressembler un morceau de techno composé dans la savane. Mais après avoir ajouté des harmonies et des voix nigérianes, j’ai compris à quel point cette chanson était imparable. Elle a ce petit truc en plus qui fait que tu pourrais la jouer toute la nuit.

Il paraît d’ailleurs que tes sets « all-night long » t’ont permis de revenir aux sources de ton inspiration, de faire le tri. Qu’est-ce qu’il te reste de tes débuts, en pleine période bloghouse ?

Avec Club Cheval, on était plutôt anti-bloghouse, dans le sens où l’on arrivait sur la fin de cette scène et où l’on essayait d’amener de la nouveauté, tout en étant évidemment un peu trop snob et ambitieux par rapport à ce que l’on était réellement – quatre petits gars de Lille qui avaient tout à apprendre. Ce que j’en retiens, c’est cette ouverture d’esprit permanente et cette curiosité que Pedro symbolise à la perfection avec Ed Banger, un label qui a su rester cool et inspirant à travers le temps. Il a réussi à assimiler les tendances sans se référer constamment au passé.

À l’instar de Pedro, ceux qui ont su rester dans le présent sont ceux qui ont perduré. On le voit bien avec Phra, de Crookers, qui produit désormais du rap en Italie, avec Mr. Oizo qui cartonne au cinéma ou avec SebastiAn qui compose pour d’autres. L’erreur aurait été de continuer à faire la même musique, de ne pas accepter qu’un artiste peut être fier d’avoir fait partie d’un mouvement tout en se réinventant au fur et à mesure des albums.

Tu n’es donc pas du genre nostalgique ?

Du tout ! Chez moi, même les instruments vintage sont utilisés sans se référer au passé. Ce que j’aime, ce sont les triangulations entre les techniques anciennes, le son actuel et mon univers. Mydnight, c’est exactement ça !

Myd © Alice Moitié
Myd © Alice Moitié

Myd – Mydnight

(Ed Banger / Because)

Born A Loser a sans doute été à la fois une bénédiction et un cadeau empoisonné pour Myd. Une bénédiction, car ce premier album a fait de l’ex-Club Cheval le chef de file naturel d’une house française célébrée autant à l’international que par les institutions hexagonales, qui l’ont récemment fait Chevalier des Arts et des Lettres. Mais un cadeau empoisonné également, car il a condamné son auteur à se surpasser.

Au moment de se lancer dans l’enregistrement de Mydnight, le défi était de taille. Et il est brillamment relevé. Sans doute parce que Myd s’est donné le temps d’expérimenter sans pression de nouvelles sonorités après quatre années de tournées et de DJ-sets. Mais aussi parce qu’il semble actuellement touché par la grâce et capable de transformer la moindre idée mélodique en un gimmick fédérateur.

Mydnight est une ode à la nuit et aux afters sous le soleil californien (« 9am »). C’est une virée survitaminée dans une fête qui s’autorise l’accalmie (« Be Someone New »), mais refuse l’essoufflement. C’est l’irrésistible « Make Me Feel Alive » et son beat découpé façon Todd Edwards. C’est l’addictif « Song For You » et son sample de Popcorn monté sur ressorts. C’est le carnavalesque « So High », témoin d’une approche raffinée de l’excentricité.

C’est aussi « All That Glitters Is Not Gold », où l’on découvre Myd capable d’inviter le dub jamaïcain sur la piste de danse sans se ridiculiser ni donner l’impression de boucher les trous. Clairement, il est là pour se faire plaisir et narguer la venue du jour avec ses tubes euphoriques, en écoutant les corps en mouvement, la sueur figée sur la nuque.

Par Maxime Delcourt