🔊 Tsugi Podcast 641 : Mai Mai Mai, rituels, magie noire et fantômes de la Méditerranée

par | 30 09 2021 | podcast

Rituels, magie noire et fantômes de la Méditerranée, voilà une heure de mix de l’Italien Mai Mai Mai.

Par Sylvain Di Cristo, Antoine Gailhanou et Emmanuel Haddek

Si, on peut vivre au bord de la Méditerranée et faire de la musique sombre. On peut même côtoyer l’une des grandes pop stars actuelles d’Italie et signer un featuring de noise industrielle sur l’album que tout le pays a écouté. C’est comme ça qu’on l’a découvert, Toni Cutrone et son autre alias Mai Mai Mai, en 2016 sur le célèbre Mainstream de Calcutta. Vous voyez le morceau dont on parle, l’avant-avant-dernier du disque, ce grondement de distorsion qui se répète comme on pratique un rituel de magie noire, avant de passer à la dixième chanson et retrouver sa jolie voix de canard et sa guitare acoustique.

Cet improbable morceau cachait forcément une belle histoire, et plus qu’une histoire, c’est tout un fascinant projet artistique qu’on y a découvert avec Mai Mai Mai, son drone vaudou et son « hantologie méditerranéenne » qui laisse les spectres du passé de s’exprimer, comme il l’explique dans son interview accompagnée d’un envoutant mix d’une heure.

« Un voyage sombre et flou, comme fait de souvenirs qui disparaissent ou de rêves qui s’évanouissent avec la lumière du soleil après un réveil brutal. »

Sur ta page Bandcamp, tu décris le projet comme étant de l’« hantologie méditerranéenne ». Essayes-tu d’invoquer des fantômes dans ce mix ? Quelles ont été les idées qui t’ont guidé ?

La musique que je compose, mais surtout la performance live que j’apporte sur scène, est conçue comme un rituel. J’essaie d’impliquer l’auditeur et le spectateur en les emmenant dans les lieux que je décris avec ma musique. Un voyage sombre et flou, comme fait de souvenirs qui disparaissent ou de rêves qui s’évanouissent avec la lumière du soleil après un réveil brutal. Les fantômes apparaissent souvent sous forme d’émotions fortes lors d’une écoute profonde et méditative, ou bien en dansant et se perdant dans des rythmes hypnotiques et répétitifs, des basses profondes qui font vibrer le corps et l’esprit.

Dans ce mix pour Tsugi, je commence par un extrait de mon nouvel album Omega Mai, en collaboration avec Squadra Omega (un collectif consacré au psychédélisme, à l’avant-garde, au free jazz et au krautrock) qui sort fin septembre en vinyle et sur notre Bandcamp. Il se développe de manière enveloppante, ambient, tandis que le rythme et le beat s’accumulent lentement. Pour en revenir au mix, j’ai également utilisé toutes les dernières nouveautés de musiciens qui travaillent aussi avec l’ethnicité, le folklore et les traditions. Je le vois comme la bande-son d’un voyage d’une heure à vivre les yeux fermés.

©Camille Blake

D’où provient ton pseudo ?

Je voulais un nom en italien, lié au folklore et aux traditions musicales du Sud. Le nom lui-même, avec la répétition, trahit le sens du rituel que je veux présenter avec ce projet. Tout comme les répétitions des rythmes, il est lié à la transe et à de nombreuses traditions anciennes entre magie et religion, ainsi qu’au psychédélisme, à la musique drone et à la techno, bref, à mon parcours musical.

« Mai Mai Mai a été le premier projet dans lequel je ne frappe rien, mais qui en garde tout de même l’attitude : tout part du rythme. »

Comment mélanger le soleil de la Méditerranée avec une musique aussi sombre ?

La Méditerranée et le Sud de l’Italie sont sûrement directement connectés dans l’esprit des gens au soleil, à la relaxation, aux plages, à l’insouciance et à la bonne nourriture. Mais en réalité, il existe une Méditerranée parallèle : sombre et liée à des pratiques religieuses anciennes. À mi-chemin entre le paganisme et le catholicisme, pleine de pratiques occultes, de prières et de chants obsessionnels, de visions d’esprits et d’ombres qui nous entourent ; ou liée à la dureté du quotidien rural et à ses rituels de vie et de mort. Une vision du monde façonnée par des paysages faits de ruines anciennes, d’églises et de châteaux entourés de vestiges d’usines contemporaines aujourd’hui en faillite, de ports abandonnés, d’épaves et de ruines. Très loin des cartes postales mentales les plus courantes de ce pays. C’est ce paysage visuel et sonore que j’essaie de transmettre dans ma musique, qui est, je vous assure, pas aussi sombre que le monde dont je m’inspire !

Tu as commencé comme batteur dans un groupe punk dans lequel tu joues encore. Prêtes-tu toujours une attention particulière aux percussions dans tes musiques ?

J’ai grandi en tant que batteur et je le suis toujours. J’ai toujours mélangé la batterie à l’électronique et à un esprit d’expérimentation : jouer avec des tambours et des percussions non conventionnels, utiliser des microphones de contact, des effets, des filtres, des triggers et des pads, combiner la batterie avec des synthés et des modulaires… Mai Mai Mai a été le premier projet dans lequel je ne frappe rien, mais qui en garde tout de même l’attitude : tout part du rythme. En composant un morceau, je pars de l’ambiance que j’ai en tête, en travaillant surtout sur les enregistrements de terrain ou d’instruments acoustiques, les chants, les prières, les sons naturels. Une fois cela fait, je me consacre à la partie primaire, celle qui me tient le plus à cœur, c’est-à-dire la construction de la partie rythmique. Même dans les morceaux qui n’ont pas de beat, je cherche un moyen de transmettre un rythme clair et convaincant.

©Camilla Rocca

Tu diriges également un club à Rome et organises des événements. Comment t’es-tu adapté à la pandémie ?

Avec l’arrivée du Covid, tout s’est passé de la pire des manières… Notre club, La Fine a fermé en mars 2020. Au départ, nous devions rouvrir rapidement, en avril ou mai, mais on a vu comment ça s’est passé ensuite. En réalité, le gouvernement nous a abandonné et c’est toute la culture qui n’a pas su s’adapter. Et même si aujourd’hui les choses en Italie semblent reprendre dans une fausse normalité, ils ne sont même pas capables de donner des directives claires et sûres à tous ceux qui travaillent dans le milieu du clubbing et de la vie nocturne pour les prochains mois. L’automne pour nous ici est sombre et brumeux. Malgré ça, cet été, nous avons réussi à mettre en place un événement dans l’espace ouvert d’un théâtre de Rome, le Teatro India, appelé aussi Bar India : de la fin mai au 25 septembre, nous avons lancé une programmation de quelques concerts par semaine, d’un DJ set chaque nuit (même si danser était interdit !). Il y avait aussi des rencontres et des performances. Évidemment, nous avons travaillé principalement avec la scène locale. Faire venir des gens de l’étranger restait difficile. Mais avec l’arrivée de l’automne, lorsque le beau temps s’en ira et que nous ne pourrons plus organiser d’événements en plein air, là ça ne va pas être facile… Mais l’été prochain, on reviendra !

« On a donc décidé de faire un morceau ensemble, un peu comme pour laisser une trace à la postérité de ce qui existait avant Mainstream. »

J’ai remarqué un featuring sur l’album de Calcutta, Mainstream, avec le titre « Dal Verme », qui dénote complètement du reste de l’album et qui en porte davantage ta signature. Quelle est l’histoire derrière ce choix et cette collaboration ?

Eh bien tu as remarqué le morceau de Mai Mai Mai Mai le plus streamé de tous (rire) ! L’histoire, la voilà. Calcutta est un vieil ami et quand il était jeune, avant de devenir si populaire, il allait souvent au DalVerme, l’endroit qu’on avait à Pigneto de 2009 à 2017, le siège de la soi-disant « scène de l’est romain ». Il passait pour boire, discuter, voir des concerts un peu fous et des performances bizarres. Souvent, il jouait sur notre canapé, guitare acoustique et voix, devant une salle pleine (50 personnes). On adorait tous chanter ses chansons à pleins poumons. Tout ça, c’était bien sûr avant qu’il ne sorte Mainstream et son succès bien mérité. Pendant qu’il travaillait sur ce disque, qui allait sortir chez Bomba Dischi, on sentait déjà que les choses allaient changer – on ne prévoyait pas qu’il allait autant cartonner, mais c’était dans l’air, on le savait. On a donc décidé de faire un morceau ensemble, un peu comme pour laisser une trace à la postérité de ce qui existait avant Mainstream. Bien que très « étrange » comparé au reste de l’album, Edoardo (Calcutta), le label et moi-même avons quand même validé le morceau, qui s’est appelé « DalVerme », en hommage au club. Calcutta continue de jouer ce morceau pendant ses concerts : l’entendre devant des milliers de personnes, dans un stade ou à l’Arena di Verona a été incroyable. Finalement nous avions raison, ce track est un peu comme un « signe » de ce qu’il était avant l’album, une sorte d’avertissement aux plus curieux qui ne connaîtraient pas le parcours musical de Calcutta. Je suis très heureux et fier d’avoir fait ce morceau avec lui. Et encore aujourd’hui, quand je l’entends, je trouve que c’est un track qui tue.

Tracklist du podcast :

  1. Mai Mai Mai & Squadra Omega – Omega Mai (Extrait)
  2. AHRKH – Paramita (Extrait)
  3. Agostino – Beddha Ci Dormi
  4. Blak Saagan – Ore 9: Attacco al Cuore dello Stato
  5. Fera – Catastrofe (Extract)
  6. NOT399093 – Blind Bright Codex Building
  7. VIPRA – Vedere è Bene, Vedere bene è Meglio
  8. GNOD & João Pais Filipe – Faca De Água
  9. Alfio Antico – Montagna Oscura
  10. Front de Cadeaux – Senyawa’s Istana (Dub Version)
  11. Khalab – Neba
  12. Nziria – O Dolor