La musique, c’était vraiment mieux avant ?
Des chercheurs de la Sapienza, à Rome et de Padoue ont analysé les transformations dans la construction et la composition de la musique. Leur conclusion est déconcertante : « la musique est de moins en moins complexe ». On s’en parle.
Le projet est fou, voire dantesque, mais s’attache à répondre à une question : « comment la composition musicale a évolué depuis 40 ans ? ». Cette problématique a été le quotidien (ou la croix) de toute une équipe de chercheurs entre Rome et Padoue. Apparemment, ils n’ont pas sombré dans la folie puisque ce 13 janvier, le bien-nommé ‘Decoding Musical Evolution Through Network Science‘ est publié et l’étude est catégorique : Depuis 40 ans, la musique se simplifie.
Les plus grands diggeurs-diggeuses crieront sans doute au scandale. Toutefois, avant de sauter dans un avion pour retrouver les auteurs de ce papier et leur en toucher deux mots, on vous explique ce qui les a menés à ce résultat.
Pour pondre cette sentence irrévocable ‘la musique se simplifie’, il y a bien sûr eu tout un tas de termes savants et de procédés sibyllins. Sur la base d’un échantillon de 20 000 titres extraits du MetaMIDI Dataset, sur une période de 40 ans, six grands genres (pop, hip-hop, rock, électro, jazz, classique) ont été passés au peigne-fin et modélisés en des nuages de points connectés. Les scientifiques parleraient sûrement plutôt de « réseau dirigé de points », mais pour nous simples profanes, les images valent parfois mieux que des mots. On vous a donc mis juste ci-dessous les exemples d’illustrations de titres, notamment « Air On A G String« , « Autumn Leaves« , « Never Gonna Give You Up » et « Crazy Train« .

« Réseaux construits à partir de quatre fichiers MIDI. La taille de chaque nœud est proportionnelle au degré du nœud et la transparence de chaque arête est proportionnelle à son poids. » © Niccolò Di Marco / Edoardo Loru / Alessandro Galeazzi / Matteo Cinelli / Walter Quattrociocchi – « Decoding Musical Evolution Through Network Science »
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Ici, les points sont des notes ; et les transitions sont des arêtes, plus ou moins accentuées selon leur fréquence d’occurrence.
De ce qui pourrait ressembler pour beaucoup au nouveau dessin de votre jeune neveu/ nièce, les experts ont pu identifier les tendances structurelles de la musique à travers différentes mesures statistiques (densité du réseau, efficacité globale, réciprocité pondérée, entropie des nœuds et les préférences harmoniques propres à chaque genre). On vous laisse le plaisir de vous frotter à ces termes et les équations, dans le reste de l’étude.
Musique minimaliste ou standardisée ?
Parce que ce qui nous intéresse, c’est la question suivante : pourquoi, au vu de ces labyrinthes de connexion, la musique se serait appauvrie ?
Les chercheurs italiens n’incriminent, dans leur résultat et leurs conclusions, aucun genre en particulier, ou ‘développement du mauvais goût’. L’analyse souligne plutôt que les structures mélodiques se simplifient au cours des siècles et même à l’intérieur des genres. Les transitions entre notes et accords se ressemblent davantage et les occurrences sont de plus en plus importantes dans les structures des morceaux. La mélodie des tracks serait donc de moins en moins complexe. La classe du minimalisme ? Peut-être. Une homogénéisation de la musique, pour toucher le plus grand nombre ? Peut-être aussi.
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Des hypothèses fusent alors à la fin de l’étude : le formatage des morceaux, pour s’adapter aux playlists et aux algorithmes, serait plutôt friand des titres courts et facilement mémorisables. Cela réduirait la diversité harmonique des morceaux. Logique, en même temps, de pouvoir caler davantage de mélodies au sein d’une symphonie, que dans un TikTok de 30 secondes. Il n’empêche que les grands méchants mots « standardisation de la musique » semble pointer le bout de leur nez.
Faut-il toujours écouter les nouveautés ?
Si la tendance à la simplification musicale est indéniable, elle ne signifie pas pour autant un appauvrissement des musiques actuelles. Les six genres du panel n’offrent pas d’aperçu sur toute la variété des sous-genres. De nouveaux genres ont vu le jour pour apporter une nouvelle proposition musicale, comme l’hyperpop ou autres hybridations de styles. Le Guide d’Ishikur ou la carte de Everynoise sont les preuves inépuisables de la richesse des genres les plus modernes (ou pas).
D’autres paramètres, comme la richesse de l’orchestration ou la superposition de textures sonores, se sont développés. La création de nouvelles machines, la puissance accrue des logiciels de montage audio comme Logic ou Ableton permettent de composer des tracks plus musclés. La généralisation des outils numériques a permis à tous de pouvoir bidouiller de nouvelles sonorités depuis sa chambre et non des consoles des studios. Sans Fruity Loops, pas de jersey, de grime ou de trap. Phrases inconcevables lorsqu’on regarde les top charts du moment.
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La musique ne finira donc pas en un amas de quelques « bip bip ». Les diggeurs et les producteurs ont encore de sacrés festins de nouveaux sons à se mettre sous la dent. Et pour notre plus grand plaisir, on ne s’est pas transformé en votre tonton « c’était mieux avant », le temps d’un article. Bref : tout le monde est rassuré.