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Au BPM cette année au Portugal - les organisateurs de l'édition mexicaine du festival ont supprimé les photos de l'événement de leur site.
13 mars 2017

Trafic et règlements de compte : les festivals mexicains dans l’impasse

par Tsugi

Il y eu d’abord la fusillade. Elle éclate en pleine soirée de clôture, le 16 janvier, du festival BPM à Playa del Carmen, au Mexique, laissant derrière elle six morts et une quinzaine de blessés. Puis le lendemain, à une soixantaine de kilomètres, un affrontement se déroule aux pieds des bureaux du procureur de la région, à Cancún, faisant quatre morts, dont un policier. Les assaillants étaient armés d’AK-47 et de lance-grenades.

Selon plusieurs experts en sécurité, la multiplication des violences sur la côte caribéenne mexicaine serait liée aux affrontements entre les cartels. Ces derniers se disputeraient le contrôle du trafic de drogues dans la région, mais aussi des prélèvements de “derecho de piso”, une taxe payée par petits et grands commerçants en échange de la “protection” d’un groupe criminel local. Les autorités mexicaines évaluent la seule vente de drogues dans l’état de Quintana Roo, qui englobe Playa del Carmen, Cancún et Tulúm, à 1.5 milliards de dollars.

La région est pourtant plus connue pour ses plages de sable blanc, son eau turquoise et ses vestiges mayas, que pour ses cartels. Mais le retour depuis le début de l’année dans les médias du crime organisé, menace une industrie en plein essor : celle des festivals de musiques électroniques.

Par mesure de précaution, et par peur que d’autres incidents ne viennent entacher l’image de leur bout de paradis, les autorités locales ont appelé à interdire tous festivals jusqu’à nouvel ordre. “Si d’autres incidents se reproduisent dans les prochains jours et que les médias s’en emparent, je suis sûr que cela aura un effet sur le tourisme », confie le propriétaire d’un hôtel dans la région. « Nous ne savons pas si c’est lié à ce qu’il s’est passé, mais nous avons déjà eu deux annulations », ajoute-t-il sous couvert d’anonymat.

L’interdiction sur les festivals demandée par plusieurs représentants locaux, menacent toute une ribambelle d’événements, petits et grands. À Playa del Carmen, le festival Arena, “le plus grand festival de musique de danse gay et lesbienne du Mexique”, a ouvert ses portes le 1er février, malgré les pressions des autorités locales et les rumeurs d’annulation qui circulent dans la presse mexicaine. En avril, ce sera au tour de Mayan Madness d’affronter l’opposition locale.

Près de deux semaines après la fusillade au festival BPM, les autorités n’avaient toujours pas établi de motifs. Seuls les faits ont été communiqués : dans la nuit du dimanche au lundi 16 janvier, vers 2h30 du matin, un premier rapport a été envoyé à la police municipale. Plusieurs témoins ont entendu des coups de feu sur la douzième avenue, à quelques pas du club Blue Parrot. Peu de temps après, un homme armé est entré dans le club qui battait alors son plein, lors de la soirée de clôture du festival, qui fêtait par ailleurs cette année là son dixième anniversaire.

D’après les vidéos de sécurité obtenues par les autorités, l’homme armé s’est tout de suite dirigé vers un individu, puis l’a exécuté. L’assassin et les agents de sécurité du club ont ensuite échangé plusieurs coups de feu, faisant quatre autres victimes. Une sixième meurt piétinée dans le mouvement de foule qui s’ensuit. Le tireur, lui, a fui la scène et n’a toujours pas été capturé.

Le reste – suspects, auteur, motif – n’est que spéculation. Selon le procureur de l’état de Quintana Roo, Miguel Angel Pech Cen, les autorités poursuivent trois pistes différentes. Extorsion, trafic de drogue et meurtre ciblé.

Dès le lendemain des faits, plusieurs fonctionnaires et chefs d’entreprises locaux se réunissaient devant la presse, locale et internationale – trois des six victimes sont étrangères – pour faire part de leur opposition au retour de BPM et de ses semblables à Playa del Carmen.

« Nous voulons (…) générer des emplois, mais dans un environnement chaleureux et sain, où les familles qui vivent ici peuvent vivre en paix », a déclaré Maria Elena Mata, présidente d’un syndicat représentant les commerces de la région. « Nous avons demandé, et nous avons eu des réponses positives, que l’on n’autorise pas un événement de plus. Nous ne voulons pas de BPM, ni d’aucun autre événement comme celui-ci,” a lancé la syndicaliste, ajoutant que la région espérait attirer une clientèle différente, « plus saine ».

Cristina Torres, maire de la commune, a dit regretter que les autorités ne se soient pas occupé plus tôt des problèmes de trafics de drogue à Playa del Carmen.

LA MENACE DES CARTELS

Selon un rapport du bureau du procureur mexicain (PGR) consulté par le quotidien El Universal, opèrent dans l’état de Quintana Roo : le cartel du Golf, le cartel Jalisco Nouvelle Génération, le cartel de Sinaloa (aussi connu comme le cartel du Pacifique, cartel du célèbre Joaquín “El Chapo” Guzman) et jusqu’à récemment, Los Zetas, groupe décrit par le gouvernement américain comme l’un des plus dangereux au Mexique. Selon ce même rapport, l’un des principaux suspects visés par l’enquête serait une certaine Doña Lety, a.k.a “La 40”, ancienne de la police fédérale mexicaine aujourd’hui à la tête d’un cartel “indépendant” qui contrôlerait le narcotrafic dans plusieurs villes de l’état.

“Il est difficile d’avoir des preuves tangibles quant à l’infiltration des forces de police par le crime organisé,” explique Alejandro Hope, un ancien de la CISEN, le bureau des renseignements du gouvernement mexicain. “Il est impensable de penser qu’elles [les autorités] ne savent rien, mais jusqu’où va la corruption.. ça on ne sait pas.”

Autre hypothèse avancée par le bureau du procureur : la possibilité qu’un cartel ait voulu se venger des organisateurs, si ceux-ci avaient refusé de les laisser opérer pendant le festival. “Certains voient ce festival comme un endroit conçu pour les amateurs de drogues”, confie l’hôtelier. “Et partout où il y a des touristes, il y aura des drogues, et les cartels vont venir,” explique-t-il.

Peu de temps après la fusillade, un promoteur installé au Mexique a confié à l’agence Reuters qu’il avait récemment laissé entrer plusieurs hommes armés lors d’un événement qu’il organisait. Selon lui, ces derniers souhaitaient dealer de la drogue et n’ont pas posé de problèmes. Il explique les avoir laissé entrer dans le soucis d’éviter que les choses ne tournent mal.

LA RIVIERA MAYA

Le festival BPM a été lancé il y a dix ans par deux Canadiens, Craig Pettigrew et Philip Pulitano. Depuis, le festival est devenu un événement d’envergure, avec plus de 70 000 visiteurs par an et des artistes de renom comme Guy Gerber ou Seth Troxler. Et même si le plus modeste Festival de Jazz de la Riviera Maya était déjà installé à Playa del Carmen depuis quelques années, c’est le succès de BPM qui a attiré tout un tas d’organisateurs internationaux dans la région.

La séduisante péninsule du Yucatan au Mexique, regroupe plusieurs spots touristiques comme Playa del Carmen, Cancun et Tulum, plaque tournante de l’industrie du tourisme dans le pays. Ces destinations sont particulièrement prisées par les festivaliers en quête de musique, mais aussi de plages de sable blanc et d’eau turquoise. L’un après l’autre, les organisateurs se sont ainsi installés sur la fameuse Riviera Maya, profitant de l’aéroport international de Cancun, le deuxième plus grand au Mexique, et d’un large réseau d’hotels et de clubs de vacances. En janvier dernier, le magazine XLR8R avait lancé un petit festival de luxe à Tulùm. Et le festival Comunite célébrait également en janvier son deuxième anniversaire avec, entre autres artistes, Omar S, Fred P et Lawrence.

L’État de Quintana Roo a l’un des taux d’homicides les plus faibles du pays. Il est classé 25ème sur 32, avec 159 cas enregistrés entre octobre 2015 et septembre 2016. Les cartels actifs dans la région ont tendance à garder un profil bas. Au final, eux aussi profitent d’une industrie du tourisme en bonne santé. Les autorités, soucieuses de ne pas effrayer les touristes, sont elles désireuses de minimiser tout crime dans la zone. Un fragile status quo peut ainsi exister pendant un temps. “Il est très important pour le gouvernement de maintenir une certaine sécurité dans la région », déclare un employé de l’industrie du tourisme à Tulúm, parlant lui aussi sous couvert d’anonymat.

Selon ce jeune mexicain, l’élection d’un nouveau gouverneur de l’état de Quintana Roo en juin 2016, aurait précipité cette instabilité politique et causé une résurgence de la violence. En effet, les élections au Mexique ont tendance à entraîner un certain chaos, lié à l’arrivée de nouvelles têtes aux hauts postes de commandements des autorités locales. Les sortants luttent pour conserver leur pouvoir, alors que les nouveaux arrivés tentent de trouver leur place. « Le nouveau gouverneur va à l’encontre de beaucoup de choses qui étaient en place sous l’administration précédente », commente l’employé. « Je pense que toute cette violence a quelque chose à voir avec cela.”

Car l’impunité est encore très répandue au Mexique. Le bureau du recensement (INEGI) estime que seulement 7% des crimes sont signalés aux autorités, trop souvent de mèche avec le crime organisé. Même à Tulúm, devenu très “jet-set”,  le propriétaire de l’hôtel affirme que les propriétaires de bars et de clubs n’ont pas d’autre choix que de permettre au crime organisé de se mêler de leurs affaires, que ce soit en laissant les cartels vendre des stupéfiants dans leur établissement, ou à travers le racket local. « Parce que si vous ne le faites pas, » dit-il, “ce qui s’est passé à Playa del Carmen risque de se reproduire”.

Diane Jeantet

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