En amont de la fête de la musique, des alertes à la piqure se diffusent sur les réseaux sociaux et dans les cercles féministes : des hommes veulent profiter de l’événement et de la foule pour piquer/injecter des femmes. Entre besoin d’informer, crainte de prévenir les agresseurs et de créer un climat de peur, comment traiter ce genre d’information ?
Quelques heures avant la tant attendue fête de la musique, les réseaux féministes étaient en marche. Sur Instagram, des comptes comme @abregesoeur, @fraiches ou @actureact agitent un éventuel danger pour les célébrations du 21 juillet : des appels auraient été lancés (notamment sur Snapchat à piquer des femmes avec des seringues. La riposte féministe s’installe. Des listes de conseils sont diffusées pour minimiser les risques.
« Restez calme » ; « éloignez-vous rapidement de l’endroit où vous avez été piqué » ; « Allez aux urgences pour faire un examen et prendre à la discrétion du médecin un traitement préventif d’infection » ; « si l’aiguille est toujours plantée ne la toucher pas » ; « installez l’application The Sorority pour demander à d’autres femmes de l’aide en cas de danger ou besoin »
Le compte d’Abrège sœur propose même un code d’alerte : si quelqu’un semble en danger, elle invite à s’approcher de cette victime pour lui demander : « il vient d’où ton haut ? ». La réponse « H&M » indique alors que la personne ne va pas bien, et a potentiellement besoin d’aide.
Ségo Raffaitin, sur la matinale de Radio Nova, définit en ces mots, le processus de diffusion de l’information contre les « piqueurs » : « menaces, organisation et réaction effective. Les posts se partagent et s’envoient dans les groupes d’ami.e.s. A-t-on un instant pu douter de l’énorme cerveau des meufs et de leur sororité sans faille ? Non »
Si on se félicite pour cette riposte, pour cette solidarité entre meufs, des voix s’élèvent pour pointer les biais de ce type de pratique. Entre autres, la féministe Irene García Galán. Dans un post, elle ne remet pas en question la bonne volonté préventive de la diffusion de cette information, mais insiste sur sa capacité à diffuser une « terreur sexuelle ».
Terreur sexuelle
Les grandes notions sont inquiétantes. Pas de panique ! Observons-les ensemble à la loupe pour comprendre.
L’expression consacrée « terreur sexuelle » provient de l’ouvrage Microfísica sexista del poder de Nerea Barjola. L’autrice définit ce phénomène comme un dispositif disciplinaire sexiste, c’est-à-dire une forme de pouvoir qui agit sur les corps des femmes à travers les récits sociaux et médiatiques de la violence sexuelle. Ceux-ci agissent comme des « textes prescriptifs » dictant des comportements attendus et délimitant ce qui est « permis » pour les femmes. Ces récits fonctionnent comme des leçons de soumission.
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Des exemples deviennent des formes d’enseignements sociaux punitifs, qui rappellent aux femmes les conséquences d’une trop grande liberté ou transgression des normes (comme sortir la nuit, s’éloigner de la sphère domestique, se déplacer seules, etc.).
Les discours ne reflètent pas simplement des faits. Via l’usage du pouvoir, ils fabriquent une réalité. Ainsi, la terreur sexuelle n’est pas une simple peur collective. Elle produit des effets tangibles sur la subjectivité féminine et sur la docilité de ces corps dans l’espace social et urbain. La violence sexuelle devient ainsi apprise sans être dite. Elle est appréhendée au niveau corporel sans toujours passer par une conceptualisation explicite.
Cette théorie permet de penser que la terreur sexuelle agit sans violence physique directe, par l’anticipation d’une menace : elle structure la vie quotidienne des femmes par la peur, la limitation spatiale (éviter certains lieux ou heures), et la gestion constante de leur propre vulnérabilité.
Quelle responsabilité pour les médias ?
Consciemment ou non, un grand nombre de médias engagés ont reproduit cette discipline des femmes par l’utilisation d’un vocabulaire teinté de peur, altérant l’imaginaire festif du 21 juin pour les personnes de genre féminin. Pourtant, lors de la fête de la musique de cette année, 145 plaintes ont été déposées, suivies de 12 interpellations de suspects. Alors, face aux chiffres, comment se positionner en tant que média et traiter l’information ?
Le média Club Theory (futur ‘Fase’) a expliqué sa démarche ce 22 juin, pour expliquer sa position dans le relai de cette alerte aux piqueurs. Après de nombreux commentaires sur leur post soulignant le caractère anxiogène de la news, le média prend du recul sur sa responsabilité. Soulignant son indélicatesse dans le travail de contextualisation de l’information, il ne remet pas en cause son positionnement, ne voulant pas prendre le risque d’exposer des potentielles victimes à cause d’un manque d’information.
Le paradoxe de « l’information sans alarmer » persiste donc. Le travail est peut-être ailleurs. Peut-être que pour renverser le camp de la peur, il faudra questionner nos pratiques, encore et encore, pour trouver le bon cadrage.
Une alerte ne signifie pas que les victimes sont responsables des violences qu’elles subissent.
@club_theory
Les agressions sont la faute exclusive des agresseurs.
Il faut aussi renverser le message. Les femmes ne sont pas plus sûres au sein du « foyer ». La majorité des violences proviennent des cercles proches et familiaux. N’invisibilisons aucune violence. Contextualisons les menaces. Créons des espaces bienveillants et sereins pour une fête féminine, et tout aussi folle. Pour que tous et toutes puissent prendre part aux douces fièvres du samedi soir.
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