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22 mai 2015

L’affaire Vulnicura: le leak est-il un fléau pour l’industrie musicale ?

par rédaction Tsugi

Avec les risques de fuite sur internet, la sortie d’un disque s’apparente désormais plus à une gestion de crise qu’à une campagne promo. La preuve avec la sortie en catastrophe de Vulnicura, le dernier album de Björk.

Le 13 janvier, Björk annonce la parution prochaine de son nouvel album: Vulnicura, produit en collaboration avec Arca, sortira en mars après quatre ans d’absence discographique. C’était sans compter l’impatience des internautes. Le 20 janvier, la chanteuse islandaise est de retour sur les réseaux sociaux: “Vulnicura débarque mondialement dans les prochaines 24 heures!” La raison de cette sortie express, le fondateur du label One Little Indian, le label de Björk depuis l’époque Sugarcubes, la racontera deux jours plus tard au magazine Billboard: ce 20 janvier, Derek Birkett apprend que l’album de Björk a leaké, intégralement et en piètre qualité.

Aussitôt prévenu du leak, Derek Birkett contacte ses “amis du business”. Leur conseil: faire une prévente sur iTunes avec deux ou trois morceaux en téléchargement immédiat. Mais Björk n’est pas de cet avis, raconte Derek à Tsugi. “Elle m’a dit: ‘Ce n’est pas ce que je veux faire. Je veux que les gens puissent avoir la meilleure qualité audio et écoutent l’album en entier.’ Malgré les problèmes commerciaux, je respecte ça”, soupire-t-il. Si les artistes sont désormais plutôt habitués aux leaks – et font généralement comme si de rien n’était – celui-ci est particulièrement prématuré. “La maquette est arrivée le vendredi, le samedi, l’album leakait”, déplore Derek. Résultat: “Eh bien, rien n’est prêt, résume-t-il. Les albums physiques ne sont pas prêts, le marketing n’est pas prêt, la promo non plus…” Malgré tout, Derek Birkett décide de mettre l’album en téléchargement sur iTunes. Les versions physiques devront, elles, attendre la première semaine de mars.

 “Comme nous n’avions pas encore reçu d’argent ni fait de plan, nous sommes allés voir nos partenaires pour leur expliquer ce que nous allions faire. Si les gens étaient prêts à travailler sur cette base, alors nous travaillerions ensemble. Pour ceux qui n’étaient pas contents, alors nous irions ailleurs. Ce sera le cas de Rough Trade Allemagne, qui les laissera en plan. “Ils nous ont expliqué que si nous rendions disponible l’album en intégralité en ligne, alors ils ne continueraient pas avec nous sur le projet de Björk. Ils n’ont pas changé d’avis. Je pense que s’ils ont fait ça, c’est pour soutenir les vendeurs physiques.” Le choix iTunes ne fait pas que des heureux. Avec Amazon aussi, les relations sont tendues. “Au début, ils étaient contrariés, ils croyaient que c’était un coup de pub. Quand ils ont vu tous les problèmes qu’on avait, ils en sont revenus et ont été d’un grand soutien.”

“L’album de Björk leake 71 jours en avance. Est-il voué à l’échec?” Sur le site Has It Leaked?, qui recense toutes les fuites d’album (sans y donner accès), la question est posée. “71 jours, c’est inhabituel, explique le fondateur du site, Staffan Ulmert. Je voulais savoir comment la communauté répondrait. Si même pour eux 71 jours est beaucoup, ils ne voyaient pas ça comme un problème pour l’artiste.” En effet, la plupart des répondants ont un point de vue plutôt optimiste : pour 461 d’entre eux (46,5 %), “les fans achèteront quand même le disque” tandis que pour 419, “cela dépendra si l’album est bon ou non”. Seulement 76 votants considéraient que oui, l’album était foutu, et rien ne pouvait être fait pour le sauver. “Le label de Björk a bien réglé le problème en sortant l’album dans les 24 heures, analyse Staffan. C’était une bonne solution.”

Deux semaines plus tard, le vent a en effet tourné. “Ça s’est vraiment bien passé, l’album a été numéro 1 dans 22 pays la semaine de sa sortie et il est toujours dans les tops 10 pour sa seconde semaine”, se réjouit Derek Birkett. Album de la semaine pour The Guardian et BBC Radio 1, une note de 8,6/10 sur Pitchfork, 4,3/5 sur Resident Advisor, le successeur de Biophilia a, semble-t-il, mis tout le monde d’accord. Et s’il est toujours important qu’un album soit bon – après tout, c’est le but –, cela devient vital lorsqu’il fuite aussi tôt, pense Derek. Si l’album fuite et que tout le monde l’aime, alors on va en parler. Mais si les gens ne l’aiment pas, tu es foutu. Et tu ne peux pas le présenter comme tu veux: lorsqu’un artiste sort un album, il veut le présenter avec un visuel, une vidéo, raconter son histoire. Ça a un impact énorme sur la façon dont les gens vont réagir en le recevant.”

 

 Vers un nouveau modèle ?

 Le piratage empoisonne l’industrie depuis plus de vingt ans, si l’on en croit Pitchfork qui date la première fuite numérique à l’album Songs Of Faith And Devotion de Depeche Mode, en 1993. Pourtant, les labels peinent à trouver une méthode efficace pour le contrer. Poursuites judiciaires, tentatives de fermeture des sites, renforce- ment des règles de sécurité dans leurs équipes… en vain. Dernière idée en date: uniformiser les sorties d’albums dans tous les pays pour éviter que les premiers servis ne fassent profiter tout l’Internet. Encore faudrait-il se mettre d’accord. Sur le site Has It Leaked, c’est, avec 2 millions d’utilisateurs mensuels revendiqués, en moyenne cinq albums qui sont ajoutés au répertoire chaque jour, “dont 80% sont leakés en avance, précise Staffan. Les labels n’ont pas su s’adapter au système de leak. Ils n’ont pas de plan de secours, ils continuent de se servir de ce vieux système qui prend beaucoup de temps et qui dépend de la distribution, du réseau. Il n’y a pas de solution numérique.”

L’affaire Vulnicura pourrait donc être un test utile. “Si personne n’achète la version physique parce que l’album est vieux de deux mois, alors ça sera mauvais pour nous. Mais si les gens l’achètent, je pense que pas mal de monde se posera la question de sortir les albums différemment. Sortir la version numérique immédiatement et présenter la version physique d’une belle et différente manière, ça peut être une manière de combattre le piratage”, pense Derek Birkett. Pour l’instant, les ventes sont bien parties. Les commandes pour les versions physiques sont énormes, plus que ce qu’on a fait pour les cinq derniers albums. On dirait qu’on va faire beaucoup mieux que prévu…”

Article écrit par Elsa Ferreira

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