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© Philippe lévy pour tsugi
20 janvier 2025

Le grand débat 2024 : avec Irène Drésel, Yoa, Arnaud Meersseman et Cyrille Bonin

par Tsugi

Depuis 2014, le principe est simple. À l’occasion du dernier numéro de l’année, nous réunissons artistes et professionnels du secteur pour débattre des grandes thématiques liées à la musique qui ont agité 2024. À la cool et dans la bonne humeur naturellement. Voilà le grand débat 2024 autour d’Irène Drésel, Yoa, Arnaud Meersseman et Cyrille Bonin.

 

Par Patrice Bardot et Alexis Bernier

 

Article issu du Tsugi Mag n°176 : ‘Berlin, grandeur et décadence d’une capitale techno’, dispo partout 🗞️

 

L’intelligence artificielle, vous fait peur, moins peur qu’avant ou plus vraiment ?

Irène Drésel : Le jour où l’IA envahit la musique, je me retire et je me remets à la peinture. (rires) Je rencontre beaucoup de gens qui l’utilisent et pensent qu’elle est le futur, mais je ne suis pas d’accord. Dans le domaine de la musique à l’image, elle va débarquer en force et je ne sais pas si les producteurs feront encore longtemps appel à de vrais musiciens. C’est la fin d’une époque.

Arnaud Meersseman : En ce moment, il y a une polémique autour d’une pub Coca dont les images ont été générées par une IA. Ça débute par l’univers de la pub où il y a moins de garde-fous, mais, petit à petit, ça va tout envahir. En ce qui concerne la musique, à ce stade, je n’ai entendu que des morceaux singeant le style d’autres artistes, comme Drake ou The Weeknd. Il n’y a pas de créativité, aucun morceau original intéressant n’a encore été composé par une intelligence artificielle.

Yoa : Je suis d’accord avec vous, mais j’avoue que cela ne m’effraie pas. Il m’est déjà arrivé d’utiliser l’IA pour gagner du temps. Lorsqu’on veut avancer vite sur une maquette, on peut passer le morceau dans une IA qui sépare la voix de la prod sans avoir à ouvrir un logiciel. C’est pratique, mais cela ne remplace pas le musicien. Sans oreille humaine, il n’y a pas d’émotion. L’IA n’a aucune sensibilité.

grand débat

© Philippe Lévy pour Tsugi

 

 

« Une partie du public de Rock en Seine n’est pas curieuse. Elle vient pour la tête d’affiche et reste devant la scène en l’attendant. Il y en a même qui regardent Netflix sur leur téléphone pour patienter. »

Arnaud Meersseman

 

 

 

 

 

 

 

Arnaud : Dans l’univers du live, on a beaucoup parlé il y a quelque temps d’un logiciel qui devait tout révolutionner en croisant les datas du streaming, des concerts, du public, pour guider les programmateurs. Mais ça ne marche pas comme ça, on ne programme pas Rock en Seine avec des mathématiques : ‘Tel artiste pèse tant de billets.’ C’est le plus souvent bidon. Trop de facteurs entrent en jeu pour qu’un algorithme puisse nous remplacer.

Cyrille Bonin : Au Transbordeur, nous utilisons déjà l’IA dans trois cas. Lorsqu’un spectateur veut venir dans une salle de concert, il a besoin d’informations pratiques – l’horaire, l’adresse… – et lui donner prend un temps fou. Nous cherchons des solutions pour transmettre ces infos sans avoir à répondre à des appels téléphoniques incessants. Mais pour l’instant, ça ne marche pas trop.

On a aussi essayé l’IA pour générer des affiches. Fiasco total. On ne peut pas se passer d’un véritable graphiste ayant une sensibilité musicale. La troisième tentation, c’est d’utiliser ChatGPT pour savoir, avant de se décider à le programmer, combien en moyenne un groupe ramène de spectateurs. Comme le dit Arnaud, c’est un danger. La programmation ne fonctionne pas comme ça.

Arnaud : Ce qui fait le talent d’un programmateur, c’est sa connaissance du milieu musical et de son public, son ressenti. Il m’arrive de faire jouer des groupes dans des salles plus grandes que celles qu’ils pourraient normalement remplir, mais c’est parce que j’y crois et que je pense qu’ils vont réussir. C’est un pari que ne ferait pas une IA.

 

L’omniprésence actuelle des datas dans toute la chaîne professionnelle n’est-elle pas en train de déshumaniser le monde de la musique ?

Yoa : Je le ressens, je le déplore et ça me questionne alors que je n’ai que trois ans de carrière. Mais je suis optimiste, c’est toujours la musique qui gagne à la fin. Une chanson extraordinaire battra toutes les statistiques en sa défaveur. Trop de labels et de professionnels sont aujourd’hui obsédés par les datas. On nous pousse à nous faire d’abord connaître sur les réseaux sociaux. Mais ceux qui vous suivent parce que vous faites des vidéos TikTok se foutent généralement de votre musique. Je trouve ça dommage de demander aux artistes d’être d’abord des influenceurs et ensuite des musiciens.

Arnaud : Les datas sont devenues l’alpha et l’oméga du monde du live, c’est infernal. Avant, on se basait sur les ventes de billets des concerts précédents. C’était concret et on faisait des paris en fonction de notre instinct. Aujourd’hui les agents nous disent  ‘mon artiste vaut très cher’ et quand vous demandez pourquoi, leur réponse est toujours : ‘Il a 2 millions de followers sur Instagram, et son dernier track a été viral sur Spotify.’ Mais un follower sur Insta, ce n’est pas un billet de concert vendu.

J’ai connu des artistes avec des streams phénoménaux sur un titre ou deux qui n’arrivaient pourtant pas à remplir une Maroquinerie à Paris (500 places, ndr). Ces streams énormes sont le plus souvent réalisés grâce à un son qui s’est retrouvé sur une playlist poussée par l’algorithme. Aujourd’hui, un ‘tube‘ sur les réseaux sociaux ne garantit en rien que le public soit intéressé par l’univers du musicien.

Cela peut même tuer la carrière d’un débutant qui se retrouve avec un succès monstrueux sur TikTok. Gotye a fait 2 milliards de vues YouTube avec ‘Somebody That I Used To Know’, mais il ne remplissait pas un Zénith. Il y a toujours eu des ‘one‐hit wonders‘, poussés par exemple par une synchro sur une pub, mais on atteint des sommets aujourd’hui.

 

Yoa : Depuis TikTok, la manière d’écouter de la musique, surtout chez les jeunes, est devenue absurde. Il y a un titre de Steve Lacy qui a explosé, mais la plupart des gens sur TikTok n’en connaissent que deux phrases. Mais même si ça n’influence pas la manière dont j’écris, je ne peux pas m’empêcher de me demander si ce que je compose va fonctionner sur TikTok.

Irène : TikTok, je n’y suis pas et je suis contre. Avec l’algorithme, j’écoute beaucoup de titres dont je ne connais pas l’auteur. Mais je ne déteste pas la ‘data‘. J’aime ainsi savoir que Lyon est la deuxième ville où l’on m’écoute le plus après Paris. Comme ça, je sais que, si j’y joue, je vais remplir.

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© Philippe Lévy pour Tsugi

 

Cyrille : On utilise également la data en permanence à travers des logiciels qui nous coûtent relativement cher et qui permettent de segmenter nos publics en fonction de certains paramètres lors de l’envoi de nos newsletters. On n’envoie pas un mail à un fan de métal pour lui annoncer qu’il y a un concert d’Irène Drésel au Transbordeur. Les recettes du bar sont très importantes dans notre modèle économique, alors on utilise les datas pour savoir combien il nous faut de barmen ou de litres de bière au regard de l’historique d’un même type de concert.

Mais on n’en est pas encore à envoyer des notifications au public pour l’inciter à consommer. La data ne dicte pas sa loi. Même si je passe la plupart de mon temps à être chef d’entreprise, je reste avant tout un fan de musique. Arnaud, lui aussi, est un passionné, chaque mois il partage sa playlist sur Facebook.

 

 

Un souhait pour 2025 ?

Arnaud : Finir ma programmation de Rock en Seine. (rires) Je suis assez pessimiste sur l’état de l’industrie de la musique. J’ai un problème avec le fait que les concerts deviennent des produits de luxe, même si je suis conscient d’être au cœur de ce système en travaillant chez AEG. Je suis gêné par le fossé séparant dorénavant les concerts gigantesques, sold‐out en dix minutes, et les autres. C’est devenu beaucoup plus dur pour les artistes en développement.

L’époque où on avait le temps de développer des stratégies à long terme, comme j’en ai connu avec LCD Soundsystem, est terminée. J’aimerais revenir à une façon de travailler plus axée sur l’humain et moins ‘financiarisée‘, mais je ne crois pas une seconde que cela soit possible. Je travaille dans un grand groupe américain et d’une certaine manière je fais partie du problème. J’essaye de faire bouger les lignes, mais c’est très compliqué avec cette course aux billets plus chers, à la rentabilité, au sold‐ out…

La tarification dynamique (politique de prix consistant à ajuster les prix des billets de concert aux variations de la demande, ndr), par exemple, je suis plutôt contre, puisqu’encore une fois, cela va tirer les prix vers le haut. Mais je peux entendre les arguments pour. De toute manière, la demande est trop importante au regard de l’offre. Quoi qu’il arrive, des gens vont acheter ces billets et les revendre dix ou même vingt fois leur prix sur le marché noir et ça échappe à l’organisateur et à l’artiste. Alors, autant aller capter cette richesse, puisqu’elle existe.

On est coincés dans une dynamique venue des États‐ Unis où les cachets sont délirants parce que le prix des places l’est également, mais le flot d’argent venu du sponsoring aussi. Sur le plan écologique, ce n’est pas brillant non plus. Il y a énormément de greenwashing. On organise des concerts de plus en plus gigantesques dont l’empreinte carbone n’est pas bonne.Taylor Swift, c’est quatre‐vingt‐quinze camions sur la route. Sur tous les plans, j’aimerais qu’on revienne à un peu plus de raison. Depuis des années on n’arrête pas de dire que le monde du live est dans une bulle financière déconnectée de la réalité qui va finir par éclater. Est-ce que cela arrivera en 2025 ? Je n’en sais rien, mais cette correction est peut‐être souhaitable.

Cyrille : Mon souhait pour 2025, c’est que notre économie tienne le choc. S’il y a une crise économique sévère, on fera faillite. Les salles de concert sont au cœur de toutes les problématiques de société. Actuellement, dans la métropole de Lyon, on estime que seuls 30 % des habitants ont les moyens de venir occasionnellement voir un concert. L’avenir du pass Culture nous inquiète, car il aide la jeunesse à acheter des places de concerts. Cela représente une part importante du public au Transbo.

Yoa : En ce qui me concerne, je souhaite simplement que mon album ait une belle sortie, que la tournée se passe bien, et que je retrouve ensuite un peu de sérénité. J’ai connu des moments très mouvementés sur le plan professionnel comme personnel.

 

Irène : Je n’en suis pas encore à 2025. C’est trop loin. Je voudrais déjà que le Nouvel An se passe bien. (rires)

 

Est-ce qu’un artiste doit s’engager ?

Yoa : Dans ma vie, mais heureusement pas trop dans mon travail, j’ai été confrontée au racisme et aux discriminations. Je suis une artiste métisse, ça dérange une partie de la population. Mon cheminement artistique est forcément politique, mais je l’assume. Cela dit, l’engagement, c’est un choix personnel, il n’y a pas de raison de juger un artiste s’il choisit de s’engager ou pas.

Irène : Est-ce qu’un artiste se doit d’être politique ? Est-ce qu’il doit s’engager ? Je me souviens d’un débat pour Tsugi avec Laurent Garnier et The Hacker sur ce sujet. J’étais d’accord avec The Hacker qui disait : ‘Je fais de la musique pour m’évader.’ Je suis pareille, c’est pour ça qu’il n’y a pas de paroles dans mes morceaux. Il n’empêche que je suis engagée à titre personnel. Je suis bénévole dans un hôpital, mais je n’en parle jamais sur les réseaux. En revanche, si on me demande de militer, même pour une cause qui me touche, je dirai non. Je n’ai pas fait de la musique pour parler politique. D’autres le font très bien.

Arnaud : Le problème, c’est que notre époque est si polarisée que même l’absence d’engagement est dénoncée. Lana Del Rey n’a pas parlé du conflit israélo-palestinien durant son concert et certains l’ont donc accusée d’être sioniste et, par ricochet, Rock en Seine, qui l’a programmée, aussi. C’est ce qu’on pouvait lire sur les réseaux.

 

Entre la course aux BPM et les cachets délirants, la scène électronique a-t-elle perdu son âme ?

Cyrille : J’ai eu deux chocs musicaux dans ma vie, le rock alternatif et la techno. J’ai vécu de l’intérieur ces histoires en montant des labels, en organisant des raves. Un certain nombre de choses dans la musique électronique aujourd’hui peuvent paraître étonnantes, mais c’est une question de génération ou le reflet d’une époque. Les BPM sont importants, ça ne groove pas beaucoup, c’est assez sombre, voire industriel. Les kids adorent ça. Je ne suis pas de ceux qui disent : ‘C’était mieux avant.’

Mais parfois, je suis étonné quand un jeune DJ me définit son style en termes de BPM : ‘Je fais de 80 à 128.’ (rires) Bien malin celui qui pourrait déterminer quelle était l’âme de la musique électronique. Elle a changé en tout cas. Les questions de business sont devenues centrales.

Irène : Je pense qu’on va bientôt revenir à la ‘slow techno’. C’est un cycle. Quant à moi, je devrais être dans la tendance lorsque je serai retournée à la peinture. (rires) De toute manière, je me tiens en dehors de la scène électronique. Je suis plus attirée par des musiques qui n’ont rien de techno.

Arnaud : Je me suis éloigné du milieu électronique, même si je travaille encore avec Charlotte de Witte. Mais je pense que cette scène a effectivement perdu un peu de son âme. Au départ, c’était la musique qui était mise en avant, pas le DJ. Aujourd’hui, on est dans l’ère du DJ superstar qui lève les bras en l’air 90 % du temps. La musique devient secondaire. Heureusement, il y a encore une scène underground.

 

La « découvrabilité ». Derrière ce mot horrible se cache la question de l’accès du public à la scène émergente. Cela vous préoccupe-t-il ?

Irène : J’adore la scène émergente, quand je suis programmée sur des festivals, je vais toujours un peu chiner. Heureusement que les SMAC sont là pour programmer de jeunes artistes.

Arnaud : En France on a la chance d’avoir des dispositifs d’aides à la création qui n’existent pas dans d’autres pays. Mais ça ne résout pas le problème : comment un artiste peut-il se démarquer au sein d’une masse toujours plus énorme ?

Yoa : J’ai l’impression qu’il y a un problème dans l’industrie avec les artistes émergents. J’ai participé à tous les dispositifs possibles : les iNOUïS du Printemps de Bourges, le Chantier des Francos, le FAIR… Certains m’ont donné de l’argent, d’autres une équipe pour m’entourer. Mais pour le public cela ne représente rien. Si on demande à quelqu’un dans la rue ‘vous aimez le chantier des Francos?», il va vous répondre : ‘Le quoi ?’  C’est plein de bonnes intentions, mais il ne se passe pas forcément grand-chose ensuite.

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© Philippe Lévy pour Tsugi

 

 

« Il n’est pas normal, lorsque tu souhaites t’entourer d’un label, qu’il regarde d’abord le nombre de tes abonnés Instagram »

Yoa

 

 

 

 

 

 

Si j’ai des abonnés, je ne vais pas chercher un label, je vais me débrouiller en indépendante. La ‘découvrabilité’, cela devrait être le job de l’industrie, pas des artistes.

Arnaud : Pour faire découvrir les artistes, le live est aujourd’hui plus important qu’une maison de disques. Les musiciens cherchent en priorité un tourneur. Mais ce n’est pas toujours simple de trouver un producteur de concerts solide et prêt à investir dans le développement. Vivre du live reste encore compliqué, surtout au début. Au moins, en France, il y a un cachet minimum et l’intermittence. Les festivals ont un rôle de mise en avant des nouveaux talents. Mais à Rock en Seine, j’ai remarqué qu’une partie du public n’est pas curieuse. Elle vient pour la tête d’affiche et reste devant la scène en l’attendant. Il y en a même qui regardent Netflix sur leur téléphone pour patienter.

 

Entre le succès de la série sur DJ Mehdi et son omniprésence aux cérémonies des Jeux olympiques et paralympiques, que pensez‐vous de la remontada de la french touch ?

Yoa : C’est formidable, mais je n’ai rien d’autre à en dire. D’autant que je n’ai pas encore vu la série. (rires)

Arnaud : Une grande partie de la scène électronique, et pas seulement française, se réclame de la french touch. On a l’impression d’un revival, mais les braises étaient encore chaudes.

Cyrille : Le succès de la série sur Mehdi, c’est un truc de fou. Il était oublié et d’un coup, on redécouvre un personnage central de l’histoire de la french touch. Son parcours a touché les jeunes.

Irène : Pedro Winter a même joué un morceau de Mehdi en clôture des Jeux paralympiques où j’étais aussi. La série est magnifique. J’ai été étonnée de découvrir autant de documents vidéo. Tout le monde connaissait un peu son nom, mais la plupart ne pouvaient pas mettre un visage dessus.

 

La pop, de Charli XCX à Taylor Swift, en passant par Chappell Roan, est‐elle en train de supplanter le rap ?

Arnaud : Ce sont deux publics différents. Les deux univers cohabitent, mais sur le rap je pense qu’on a atteint un pic. Petit à petit, ça redescend. Aux États-Unis tout le monde dit ‘rap is dead’. Il y a d’ailleurs moins de rap parmi les têtes d’affiche des festivals américains. En revanche, le phénomène ‘girl pop’, comme ils disent, monte en force.

Irène : Taylor Swift, même si elle fait des megashows, joue aussi seule avec sa guitare et je trouve ça génial.

Arnaud : Billie Eilish ou Lana Del Rey en ouverture de Rock en Seine, je crois qu’il y a dix ans, cela n’aurait pas été possible.

Cyrille : La première fois qu’on a programmé Charli XCX au Transbo, on n’a rien vendu. Il faut du temps. Ce ne sont pas que des objets fabriqués par le marketing.

Yoa : Chappell Roan chante depuis dix ans. Sabrina Carpenter également, Charli XCX a démarré il y a quinze ans. Dans tous les autres corps de métier, l’expérience est récompensée, mais en musique, et surtout en France, si ton premier album ne marche pas, c’est terminé. C’est fou.

Les pop stars actuelles renouvellent complètement l’imaginaire narratif. Charli XCX parle d’amitié rompue, du temps qui passe, de l’envie d’avoir un enfant ou pas, de santé mentale et de jalousie d’une manière qui n’existait pas encore. C’est d’autant plus intéressant qu’en France, le rap manque d’originalité. Il tourne un peu en rond autour des mêmes thématiques.

 

À lire également sur Tsugi :  Charli XCX et Billie Eilish donnent 10 000 culottes à des femmes sans-abri

 

Le modèle des grands festivals généralistes n’est‐il pas en bout de course ?

Arnaud : Aujourd’hui, les plus grosses têtes d’affiche préfèrent jouer dans un stade ou une arena, parce qu’elles maîtrisent la production de A à Z et gagnent plus d’argent avec le prix élevé des places qu’en prenant un cachet pour jouer à Rock en Seine. On a aussi un problème avec le public qui préfère souvent aller voir les artistes en salle plutôt qu’en festival, parce qu’il se dit que le show sera plus long et spectaculaire, mais aussi qu’il sera mieux assis.

En arena, on a accès à du wifi, les toilettes ne sont jamais loin, il n’y a pas de risque de météo… De leur côté, les festivals ont de plus en plus de problèmes. On se retrouve avec des productions qui arrivent avec dix ou même quinze camions. À Rock en Seine, cette année, la prod de Måneskin était tellement gigantesque qu’il fallait qu’on commence à monter la veille, limite pendant le set de Lana Del Rey, pour arriver à tout faire entrer. Ça a été l’enfer. Et l’augmentation des cachets, + 20 % d’année en année, est complètement délirante.

Rock en Seine est déficitaire s’il se finance uniquement sur la billetterie et le bar. Le sponsoring fait vivre le festival. Nos marges sont tellement ridicules au regard des risques pris que ce n’est pas du tout un bon business. Et encore, il est produit par AEG, qui a quatre-vingts festivals et signe des groupes pour le monde entier. Ils jouent à Coachella, à British Summer Time, Rock en Seine puis ils vont sur nos festivals australiens. Cette circulation crée un écosystème. Si Rock en Seine perd de l’argent, je vais me faire taper sur les doigts, mais il n’est qu’une partie d’un plus grand tout. Alors, les festivals indépendants, je ne vois même pas comment ils tiennent.

Cyrille : Je prends ma casquette Nuits sonores pour essayer de te répondre. Je suis le trésorier adjoint de l’association Arty Farty, qui organise le festival depuis des années. Je crois que les festivals ‘de niche’ , très identifiés et proches de leur public, ont encore de beaux jours devant eux. Longtemps nous avons imaginé que les gens viendraient de toute la France pour Nuits sonores. Mais, en réalité, ce sont d’abord les Lyonnais qui en font le succès. On a renouvelé les générations. On essaye de ne pas programmer trop de têtes d’affiche. Mais chaque année, on flippe. On se demande si on ne va pas faire faillite.

Yoa : J’adore jouer en festival et j’ai toujours été bien reçue dans ceux où j’ai été. À mon niveau, c’est un challenge, tout le public ne me connaît pas. Il faut aller chercher les gens. Mais en tant que spectatrice, j’ai plus de mal. Je trouve que ce n’est pas confortable. Je n’aime pas les toilettes sèches. Si je n’y jouais pas, je n’irais pas trop en festival.

Irène : Moi, au contraire, je préfère les festivals aux concerts. J’aime l’ambiance chaleureuse, la déambulation, perdre ses potes, les retrouver. C’est fun. Mais j’ai de la peine, quand on joue en festival sous des trombes d’eau, de voir le public devoir se protéger sous des sacs- poubelle.

 

Qu’est-ce que vous aimez dans votre métier et pourquoi le faites-vous ?

Arnaud : Je travaille dans le live parce que je n’étais pas assez bon musicien. (rires) En réalité, j’étais parti pour travailler au ministère des Affaires étrangères et je me suis perdu en chemin. (rires) Ce que j’adore dans ce métier, c’est repérer un artiste au début, parier sur elle ou lui et l’accompagner jusqu’au sommet. Vivre cette montée en puissance doit être exceptionnel pour un artiste. Ça doit être magique de ressentir qu’on commence à être reconnu.

Yoa : Ça fait du bien d’entendre ça. J’ai parfois la sensation d’être dans un jeu vidéo et je me dis : ‘L’année dernière, j’étais au niveau 3, là je suis au niveau 5 et peut-être qu’à la fin de l’année, je serai au niveau 8.’ Mais j’ai aussi découvert que j’aimais beaucoup le côté business de ce métier. Je n’aurais jamais imaginé être une businesswoman d’une quelconque manière.

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Irène : Je viens de l’image. J’ai fait de la musique pour essayer de m’exprimer dans d’autres domaines que la photo et la peinture. Ce que je préfère, c’est être chez moi et composer en compagnie d’un petit carré de chocolat. (rires) Ce qui me motive, c’est de penser aux gens qui sont venus me parler pour me dire que ma musique les avait aidés. J’ai reçu de magnifiques lettres que j’ai imprimées. Quand je baisse les bras, je me dis : ‘Irène, la musique, c’est salvateur, tu es comme un médecin. Tu ne peux pas les abandonner.’

Cyrille : La musique est au centre de ma construction personnelle. Je suis un fils unique qui a grandi aux Minguettes dans la banlieue lyonnaise. Les seuls trucs que j’avais enfant, c’étaient ma radio et mon électrophone. Mais j’aime aussi les gens, ce qui est essentiel dans mon métier. C’est super de faire kiffer le public qui vient dans une salle de concert. Il y a aussi le côté fête foraine : les lumières, les sons forts, la fumée sur scène. Souvent les gens me disent : ‘C’est cool ton taf.’   Et je leur réponds : ‘Si tu aimes les emmerdes, choisis celui-là…’ Ça m’a même coûté quelques divorces. (rires)

Les gens ne se rendent pas toujours compte de la manière dont ça se passe en coulisse. À Rock en Seine cette année, Lana Del Rey est montée sur scène en retard, provoquant un bordel pas possible pour une partie du public qui n’avait plus de moyens de transport pour rentrer à la maison. Dans un cas pareil, Arnaud ne peut rien faire…

Arnaud : On s’est carrément posé la question de lui couper le son.

Cyrille : Ça n’a l’air de rien, mais ce sont des enjeux énormes. Ta responsabilité en tant qu’organisateur, c’est aussi que des milliers de gens, souvent jeunes, puissent rentrer chez eux. Sans même parler des filles qui se retrouvent seules en pleine nuit, sans RER, à la fin du concert. S’il leur arrive un problème, comment est-ce que tu assumes ? Organiser un concert ou un festival, c’est faire face à des problématiques de société et de santé publique. Et, à la fin, c’est Cyrille Bonin qui va en prison, ou qui doit gérer le mec qui est en train de faire une overdose. Je m’éclate dans ce boulot, mais c’est chaud. Heureusement, on arrive quand même à bien se marrer.

Arnaud : On se prend la tête dans le monde du live, mais c’est souvent tellement n’importe quoi qu’on est obligés de rigoler de toutes ces absurdités. (rires)

 

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Who’s Who ?
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Arnaud Meersseman

Le directeur général d’AEG France, acteur incontournable de entertainment mondial, est également à la programmation du festival Rock en Seine. Un businessman, certes, mais avant tout un passionné de musique.

 

 

 

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Irène Drésel

Depuis la sortie début 2024 de son album Rose Fluo, la productrice césarisée pour la BO du film À plein temps n’a pas arrêté de tourner. On l’a même vue lors de la cérémonie de clôture des Jeux.

 

 

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Yoa

Après avoir rempli un Trianon, cette jeune chanteuse s’apprête à conquérir L’Olympia en 2025. La preuve que ses chansons sensibles au langage souvent très direct, entre électronique et rock, ont déjà trouvé leur public. Tant mieux.

 

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Cyrille Bonin

Le Lyonnais est aux commandes depuis de nombreuses années de la salle de spectacle le Transbordeur. Il est également le trésorier adjoint de l’association Arty Farty qui organise chaque année Nuits sonores, festival dont il a participé à la création.

 

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