On pensait que la saison des festivals était terminée. C’était sans compter sur la Fête de L’Humanité qui, chaque année, réunit près d’un demi-million de personnes à Brétigny-sur-Orges, à quelques dizaines de kilomètres de Paris. Cette année, l’événement qui s’était doté d’une programmation XXL a affiché plus que complet dès le premier jour.
Dernier rendez-vous de la saison, la Fête de l’Humanité est aussi celle qui attire le plus grand nombre de participants. Cette année, pas moins de 610 000 personnes sont venues assister aux débats, conférences et concerts qui font l’ADN de cette fête, à mi-chemin entre une feria et une foire internationale. Le pic d’affluence a eu lieu dès le vendredi soir — et nul besoin d’attendre le communiqué officiel tombé samedi matin, pour le constater : il suffisait d’y être.
Se rendre sur le site relevait déjà de l’aventure. Après avoir laissé passer quelques RER bondés, on a finalement réussi à atteindre Brétigny-sur-Orge, plus d’une heure après notre départ. À la gare, l’ambiance était donnée : un DJ, installé à la fenêtre du premier étage, galvanisait les milliers de festivaliers qui entamaient à pied les quarante minutes de marche nécessaires pour rejoindre l’entrée. Les navettes affichant plus d’une heure d’attente.
- À lire aussi sur Tsugi.fr : Cabaret Vert 2025 : basses, larmes et maroilles | LIVE REPORT
Il était près de 18h lorsque on a enfin franchi les portes du festival. Après un bref passage par l’espace presse, direction la scène sur laquelle se produisait Théodora, visiblement très attendue -à en juger par la foule déjà massée. Faute de place, nous avons surtout suivi le concert sur les écrans géants, mais l’ambiance n’en était pas moins au rendez-vous. La chanteuse a enchaîné les titres, de « FNG » à « Kongolese sous BBL » — désormais tous devenus des tubes — et n’a pas pu retenir ses larmes sur « Ils me rient tous au nez« , visiblement émue. Un bémol : un son capricieux qui se perdait parfois d’une enceinte à l’autre, laissant la voix de Théodora se faire couvrir par la musique. Il faut dire aussi qu’on était très (très) loin de la scène, la foule était bien trop dense.

C’est ce même soir qu’on a vu Youssoupha, de très loin aussi. Le rappeur a attiré la foule, qui bloquait jusqu’aux allées adjacentes. Les plus chanceux ont trouvé quelques poubelles, sur lesquelles monter pour apercevoir la scène. Pour notre part, on s’est contentés de la pointe de nos pieds. Le chanteur a entamé son concert avec ses sons rap ‘hardcore’ pour reprendre ses propres mots, avant de jouer ses tubes, « On se connait », « Smile » ou encore « Dreamin’ » et d’avoir un mot pour la Palestine, remerciant les spectateurs qui avaient ramené drapeaux et keffiehs.
Une belle prog’ électronique… vue de très loin
Côté électronique, le festival a offert une programmation de qualité avec Kompromat, Cassius, ascendant vierge ou encore Canelle Doublekick. Dommage toutefois que ces artistes aient été relégués tard dans la nuit, sur la scène Joséphine Baker (pas la plus grande), qui devenait d’ailleurs la scène Humacumba la nuit venue. Ce qui a provoqué l’incompréhension des festivaliers, qui ne trouvaient pas le lieu sur le plan. Les autres scènes ayant déjà baissé le rideau, on a surtout pu écouter les artistes… Mais on n’a pas trop pu les voir, tout le public étant réuni au même endroit en une foule particulièrement compacte.
- À lire aussi sur Tsugi.fr : KOMPROMAT, messe pour le temps présent|INTERVIEW
Coincés entre la file d’attente pour les toilettes — sur lesquels une dizaine de personnes étaient montées pour avoir meilleure vue que nous — et la régie, on a donc aperçu Kompromat. Malgré les conditions, on a quand même pu constater la qualité du show techno-punk de Vitalic et Rebeka Warrior.
On ne peut dire que du bien de Canelle Doublekick, qui a requinqué un ami en pleine crise d’angoisse provoquée par la foule (on rappelle que vendredi soir, le festival accueillait environ 200.000 personnes). Blotti dans sa couverture de survie, il a découvert la drum’n’bass (oui oui) à travers un remix de « Fine Day » de Sub Focus, producteur phare du label du parrain du genre, Andy C. Preuve en est : la musique électronique possède bel et bien des vertus apaisantes. Grâce à la dopamine qu’elle stimule et à ses rythmes hypnotiques, elle nous entraine dans un état modifié de conscience — expérimenté ce soir-là par notre ami agoraphobe.
- À lire aussi sur Tsugi.fr : La musique électronique peut altérer notre cerveau, c’est la science qui le dit
On n’a pas beaucoup vu ascendant vierge non plus. Pourtant leur scénographie du duo était si grandiose qu’on n’a pas eu besoin de se rapprocher pour la voir. Mathilde et Paul ont là encore séduit le public qui reprenait en chœur « On a mountain », un des premiers morceaux joué par les musiciens. On a entendu les petits nouveaux se demander si la voix de Mathilde Fernandez était enregistrée — non non, elle chante bien en direct, et c’est ça qu’on aime.
La malédiction s’est répétée le samedi soir avec Cassius, même scène. Mais même à distance, on s’est laissés emporter par l’énergie du set. Certes, on a sans doute manqué les track les plus attendus — la faute au retard de Bagarre et aux kilomètres à parcourir entre les scènes —, mais cela n’a en rien gâché le plaisir de savourer le reste. À nos côtés, un expert de la house (visiblement) expliquait très sérieusement à son ami (et ça nous a fait beaucoup rire) que « La house est structurelle, comme la social-démocratie. La house c’est social-dem en fait« . Si on est tristes de ne pas avoir entendu « I <3 U So« , on se console avec le remix du percussif « Tatata » de Gama & Mood Child.
Au revoir à vous, Bagarre
Sans conteste l’un de nos moments favoris de ces trois jours de fête : l’ultime concert en festival de Bagarre. Malgré un retard de plus de 30 minutes (retard accumulé au fil de la soirée) qui nous a coûté le début de Cassius, les power rangers du club militant ont retourné l’Huma en enchainant leurs hymnes : de « Kabylifornie » à « Diamant » en passant par « Béton armé« , avant de conclure sous les confettis avec « Au revoir à vous« , qui résonne fort à l’heure où se profile la fin du groupe.
Si DJ Snake avait échoué à déclencher son fameux mur de la mort au Cabaret Vert, le collectif parisien n’a eu aucun mal à fendre la foule, pour la précipiter dans un joyeux pogo antifasciste. L’opération s’est répétée plusieurs fois, notamment sur « Rave à Versailles« , remix de Contrefaçon, au message fortement politique.
Carton plein pour les artistes émergents
On ne les découvrait pas à la Fête de l’Huma, mais quel plaisir de les voir enfin en live : Saint Graal et Camille Yembe. Le premier est monté sur la scène Joséphine Baker juste après Adèle Castillon et a relevé le défi de jouer en même temps que la tête d’affiche du festival, Gims. Pari réussi : Saint Graal a tout de même attiré un public nombreux, qui reprenait toutes ses chansons, preuve de l’ancrage déjà solide de l’Angoumoisin.
Camille Yembe a, de son côté, offert un concert électropop maîtrisé. Son aisance scénique a frappé par sa fluidité et son assurance. Portée par un groupe de fans déchaînés qui connaissaient chaque mot de ses textes, elle a déployé toute l’étendue de son talent : chanter, danser, jouer de la guitare… On a hâte de voir sur de plus grandes scènes. Ça ne saurait tarder.
La Haine, coup de cœur du week-end
C’est en plein milieu du dimanche, juste après le passage hilarant de Waly Dia, que nous avons vécu notre plus belle surprise du festival. Pour la première fois de son histoire, la scène Angela Davis accueillait un spectacle musical dans sa programmation. La troupe de La Haine – Jusqu’ici rien n’a changé, mis en scène par Mathieu Kassovitz et Serge Denoncourt a offert ce qui restera sans doute notre plus grosse émotion du week-end.
Pour l’occasion, la représentation adoptait un format inédit mêlant extraits du spectacle et performances live des artistes présents sur l’album. Youssef Swatt’s, Doria, Benjamin Epps, Djam et TiMoh, Chico et les Gypsies, Nahir ou encore Jyeuhair. Si on a adoré les reprises des scènes cultes du film et le tableau dansé sur « ENEMY » de The Blaze, c’est l’arrivée de Médine en conclusion qui reste le moment le plus fort. Le rappeur a interprété « L’4mour », une ode au vivre-ensemble écrite pour le spectacle, en totale résonance avec l’esprit de la Fête de l’Humanité. Tout cela nous a donné envie d’assister à la reprise du show, prévue en novembre à la Seine Musicale.

Le week-end s’est clôturé dans une ambiance de karaoké géant et nostalgique avec le concert de Gims, qui a chanté et dansé sans relâche pendant 1h20, terminant trempé de sueur. Il a remonté le temps, replongeant le public dans son époque Sexion d’Assaut avec des classiques comme « Wati By Night » ou « Désolé », avant de revisiter sa période Maître Gims avec « Zombie » et « Bella ». Il a ensuite enchaîné sur ses hits les plus récents — « Ciel », « Spider » et « Sois pas timide » — qu’il décrit lui-même, avec autodérision, comme des morceaux « bêtes et méchants ». Moment fort du show : l’apparition surprise de La Mano 1.9, venu partager la scène sur « Parisienne », pour le plus grand plaisir des fans.
On n’a pas assez de lignes pour vous raconter le poulet yassa savouré au Village Monde ou l’énergie du showcase de Planète Boum Boum au Village des médias indépendants. En revanche, il nous semblait important de préciser que nous avons choisi de ne pas assister aux concerts de cinq artistes, accusés et condamnés pour violences sexistes et sexuelles, et pointés du doigt quelques jours avant l’événement, par plusieurs collectifs militants sur Instagram. Sur ce point, on espère que le festival saura faire mieux l’an prochain.
Pire moment : le taxi à 110€ pour rentrer après l’arrêt des RER parce que l’organisation de la fête empêche les Ubers d’accéder au site du festival
Meilleur moment : ça se bat en duel entre l’ambiance incroyable au concert de Bagarre et l’émotion de l’arrivée de Médine sur scène à la fin du spectacle La Haine